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L’Obamania, un antiracisme cathartique ?

L’« obamania » s’est prêtée à de nombreuses analyses et interprétations. L’on a moins interrogé le scepticisme général qui a initialement accompagné la candidature du sénateur de l’Illinois aux primaires démocrates. « Il n'a aucune chance », a-t-on souvent entendu, même après les premiers succès de l’intéressé face à la sénatrice de l’État de New York. Ces discours sceptiques avaient certes une justification explicite et rationnelle (« Les Clinton tiennent l'appareil démocrate ») mais également une justification implicite (« Il est Noir et n'a donc aucune chance », etc.) dont on voudrait dire l’ambiguïté foncière. Si cette justification était rationnelle dans ce qu’elle tenait compte de la question raciale aux États-Unis, il faut bien voir également que, dans nombre de cas, elle renvoyait Barack Obama à la figure du Noir « romantique », du Noir « irrationnel ». Dans cette dernière perspective, la candidature d’Obama aux primaires démocrates – jugée diablement « irrationnelle » – témoignait nouvellement de ce que « l'émotion est nègre comme la raison hellène » (L.S. Senghor).

Bien qu’ayant forgé, entre autres choses, le rejet dont la pensée de Senghor a pu faire l’objet en Afrique noire anglophone (W. Soyinka, C. Achebe, S. Adotevi, etc.), le stéréotype racialiste de l’ancien Académicien (à dire vrai, ce stéréotype existait avant L.S. Senghor) n’a pas moins la vie dure et sans considérations de frontières raciales puisque, récemment encore, Jo-Wilfried Tsonga a cru pouvoir dire après sa victoire à Bercy : « J’ai un peu de l’excentricité de l’Afrique et le calme occidental. Je pense que j’ai vraiment les deux dans le sang ». Si la mesure de la part de ce stéréotype dans la condescendance amusée avec laquelle la candidature d’Obama aux primaires démocrates a été accueillie est intéressante et utile, c’est parce qu’elle permet de voir plus généralement que la déconstruction des stéréotypes racialistes reste un angle relativement mort du discours antiraciste en France.
Or, ce sont les stéréotypes racialistes que les minorités « détectent » le plus spontanément dans les discours et les images publics. D’autre part, comme ils peuvent affecter « l’estime de soi » des personnes appartenant aux minorités ethniques ou raciales, ces stéréotypes sont un enjeu important des « politiques de reconnaissance » de ces minorités. A quoi il faut ajouter que les stéréotypes constituent d’autant plus un ressort des discriminations qu’ils peuvent induire des actions automatiques – comme la discrimination justement – dues à l’image que les personnes ont inconsciemment d’autrui. Au demeurant, c’est cette dimension performative des stéréotypes qui peut déterminer par exemple, à l’étranger plus qu’en France, des programmes spécifiques de formation des policiers, des juges, des journalistes, etc.

L’on peut prendre la mesure de l’impensé français en matière de stéréotypes ethnicistes ou racialistes à travers l’exemple de la police. Les pouvoirs publics font constamment valoir qu’une plus grande présence de « minorités visibles » dans la police suffit à prévenir la prégnance de stéréotypes ethnicistes ou racialistes dans la culture policière. On l’entend souvent dire : « comment voulez-vous qu’une action de police à laquelle ont pris part des policiers appartenant à une minorité visible puisse avoir une dimension raciste ? ». Si les acteurs politiques français semblent ne pas comprendre pourquoi cet argument ne « fonctionne » pas, c’est parce qu’ils ne perçoivent pas que cet argument repose lui-même sur un stéréotype – celui selon lequel l’on ne peut pas avoir de représentations racialistes (voire racistes) lorsque l’on appartient à une minorité. Or, l’appartenance à une minorité dispense d’autant moins de ces représentations que : d’une part, il existe des formes de « racisme structurel » des institutions qu’une personne appartenant à une minorité peut s’approprier (c’est ce dont rendait compte P. Haggis lorsque, dans Collision, il figurait un officier Noir du Los Angeles Police Department prêt à considérer que les bavures racistes de ses subordonnés blancs - en l’occurrence un viol raciste - sont en quelque sorte des « dommages collatéraux » de l’objectif principal de sa brigade : la lutte contre les brigands et les trafiquants de drogue) ; d’autre part, les représentations racialistes peuvent être particularisées, en ce sens qu’un individu peut en avoir de très fortes par rapport à tel groupe ethnique ou racial et moins par rapport à tel autre.

Dans les moments qui ont immédiatement suivi la victoire d’Obama, il a été dit que 24 heures chrono et les épisodes ultimes d’À la Maison Blanche avaient concouru à rendre crédible dans les représentations collectives américaines l’hypothèse d’un président non-WASP par la simple figuration de cette hypothèse. On n’a pas moins souligné que le modèle présidentiel incarné par les présidents Palmer et Santos dans ces séries audiovisuelles est aux antipodes du stéréotype senghorien. Cette dernière considération doit précisément être rapportée à la récurrence, pendant la campagne électorale américaine, de controverses sur le fait de savoir si tel discours de tel candidat avait ou non éprouvé un stéréotype racialiste ou sexiste.

C’est dire qu’instruite notamment par la psychologie sociale, la vigilance antiraciste se donne « modestement » aux Etats-Unis des objets (les stéréotypes) plus négociables que des sujets (les « racistes ») dont les opinions sont particulièrement inhibées. C’est à la fois plus fructueux (manifestement) mais plus difficile puisque personne n’est naturellement immunisé contre les stéréotypes (pas même les minorités) et que rares sont ceux d’entre nous qui ont conscience des leurs.

Pascal Mbongo
Professeur à l’Université de Poitiers
Visiting Research scholar aux Etats-Unis

Georges Picquart : l’histoire d’un doute

La personnalité et la carrière de Georges Picquart (1854-1914), est étudiée, ici, à partir de l’Affaire Dreyfus : le comportement de l’homme qui démontre l’innocence de Dreyfus, après en avoir d’abord gardé la preuve pour lui, apparaît encore aujourd’hui énigmatique.

Georges Picquart fait carrière au service secret du haut Etat-major. Mais il ne partage ni les idées, ni les goûts, ni les manières de vivre des officiers : intellectuel, polyglotte, musicien, célibataire, laïque et agnostique ; son indépendance d’esprit le distingue de son milieu. Il met en jeu sa carrière, son honneur au service d’une cause qu’il juge du point de vue de la logique et de la rigueur. Il supporte l’opprobre, l’emprisonnement, le bannissement de l’armée, les attentats, plutôt que de concéder à l’erreur. Au point que l’on peut s’interroger sur les raisons de son engagement : ce ne fut ni par devoir moral, ni par philosémitisme, ni par opinion politique partisane. Il fut homme décrié, méprisé par la plupart y compris par les amis de Dreyfus qui le tenaient parfois en suspicion jusqu’à la réhabilitation et la réintégration dans l’armée. Son amitié avec Clemenceau n’explique pas entièrement les raisons de sa brillante carrière jusqu’au ministère de la guerre.

Son énergie sans faille, sa logique scientifique, sa capacité exceptionnelle à ne pas faiblir n’empêcheront pas de s’interroger sur ses mobiles secrets : n’ a-t-il pas agi orgueilleusement ou inconsciemment contre un milieu militaire auquel il s’estimait très supérieur ? Ne jouait-il pas au militaire soucieux d’appliquer le règlement à son extrême, avec la satisfaction d’enfoncer un coin dans la morale sociale qu’il jugeait hypocrite ?

C’est ici l’histoire d’un ou de plusieurs doutes : Georges Picquart laisse le souvenir d’une personnalité énigmatique jusque dans son intimité et volontaire jusqu’à l’affrontement.

Il a eu le mérite de porter au plus haut niveau intellectuel et moral le débat soulevé par l’Affaire Dreyfus : où situer l’honneur ? la Nation ? en servant d’abord la vérité ? le pouvoir ? ou l’armée ? Une figure et une question toujours d’actualité…

Ariane Molkhou

Georges Picquart : dreyfusard, proscrit, ministre. - La justice par l’exactitude
Par Christian Vigouroux Conseiller d’Etat, Professeur associé à l’Université de Versailles-Saint-Quentin en Yvelines.
Dalloz, Hors collection, déc. 2008, 35 €.

Le point sur les mesures de sûreté

La rétention de sûreté serait finalement rétroactive

Au lendemain de la décision du Conseil constitutionnel du 21 février 2008, il paraissait acquis que la rétention de sûreté ne pourrait être rétroactive. Ceci avait déclenché l’ire du gouvernement. Le président de la République devait solliciter le premier président de la Cour de cassation, M. Lamanda, afin que celui-ci lui propose des solutions permettant de contourner la décision du Conseil constitutionnel. De son côté, la garde des Sceaux, devait affirmer qu’elle voulait « encadrer, ajuster, modifier les modalités (de la loi) par la voie d’une circulaire, d’un décret… » ou… « peut être d’une loi ». Le rapport de Monsieur Lamanda (p. 46) devait trouver une « faille » dans la décision du Conseil constitutionnel, qui permettait, selon lui, de conférer au moins une rétroactivité partielle à la rétention de sûreté : lorsqu’une personne se trouverait sous surveillance de sûreté et qu’elle violerait les obligations lui ayant été imposées, la sanction pourrait alors consister précisément dans le placement en rétention de sûreté. Il est exact que cette éventualité est mentionnée à l’article 706-53-19 du code de procédure pénale (inséré par la loi du 25 février 2008). Reste que cette rétroactivité est pour le moins discutable.

Relevons d’abord que, dans sa décision précitée, le Conseil constitutionnel a condamné en termes généraux la rétroactivité de la rétention de sûreté (considérant n° 10). À l’évidence, le Conseil n’a pas opéré de distinction selon que la rétention de sûreté aura été prononcée ab initio dans le cadre de l’article 706-53-13 ou en tant que sanction de la violation de la surveillance de sûreté, sur la base de l’article 706-53-19. Certes, objecte-t-on, le Conseil constitutionnel n’a censuré dans l’article 13 de la loi de 2008, que les paragraphes consacrés à la rétroactivité de la première cause de placement en rétention de sûreté et non celui, le IIIèmement, consacré à la rétroactivité de la seconde. C’est alors à la lecture précise de cette disposition qu’il faut s’astreindre. C’est qu’elle prévoit l’application immédiate à propos de la personne qui violerait les obligations auxquelles elle aurait été contrainte dans le cadre de la surveillance de sûreté et énonce que dans ce cas, elle pourra être placée « jusqu'au 1er septembre 2008 dans les conditions prévues par le dernier alinéa de l'article 706-53-19 …dans un établissement mentionné au premier alinéa de l’article L. 6141-5 du code de la santé publique », ce qui correspond certes notamment à d’autres types de structures, mais aussi, puisqu’ils y sont visés, aux centres de rétention de sûreté. Ce texte, de droit littéralement transitoire, n’aménage littéralement de rétroactivité que pour une très courte période, allant jusqu’au 1er septembre 2008 et non pour celle qui lui succèderait. C’est sur cette base temporaire et de ce fait peu dommageable au regard de nos principes fondamentaux que le Conseil constitutionnel a pu ne pas censurer le paragraphe III. Il ne peut donc être affirmé qu’il a admis une rétroactivité que, par ailleurs, il a dénoncée en termes particulièrement forts au paragraphe 10 de sa décision.

En admettant l’interprétation de M. Lamanda, la messe semble dite, puisque le gouvernement a fait ouvrir le premier centre de rétention à Fresnes. Mais c’est alors qu’il faut signaler une incroyable imposture. Le visiteur du site du ministère de la Justice peut visionner une vidéo retraçant la visite inaugurale que Mme Dati y a rendu le 6 novembre 2008. Or il est affirmé que, désormais, les délinquants les plus dangereux ne seront plus remis en liberté, mais au contraire détenus dans les centres de rétention de sûreté et, immédiatement, à Fresnes. Rien n’est naturellement plus faux puisque c’est uniquement, à le supposer admissible juridiquement, après la violation de la surveillance de sûreté qu’un tel placement pourra avoir lieu, ce que d’ailleurs le dossier de presse figurant sur le site indique en revanche.

Dans ces limites de prime abord relativement restrictives, cela risquerait de concerner néanmoins un nombre non négligeable de personnes. C’est que le sort naturel de ces mesures de sûreté potentiellement perpétuelles est l’échec.

Un risque important d’échec
Le risque des mesures de sûreté, comme, plus largement, des dispositifs probatoires exagérément intensifs et de durée importante est bien l’échec, i.e. le fait pour les intéressés soit de décompenser et de commettre quelque nouvelle infraction, soit de violer les obligations auxquelles ils ont été astreints. Ceci s’explique d’abord par la pente inquiétante à laquelle conduisent les mesures de sûreté s’agissant des condamnés à de longues peines, pour les faits visés par ces dispositifs exorbitants du droit commun. Il est déjà difficile, bien souvent, d’organiser un projet solide d’aménagement de peine, pour des gens durablement incarcérés, soumis le plus souvent à des périodes de sûreté, dont la fin de peine a été rapprochée suite aux réductions de peine. Ajouté à la peur de libérer des personnes à risque, il est souvent envisagé un aménagement de peine alors qu’il ne reste plus que quelques mois, parfois quelques semaines utiles. Sur ce terreau fertile, les mesures de sûreté ont certes apporté une forme de soulagement : peu importe finalement qu’il ne reste par exemple que deux mois pour contraindre, dans le cadre d’un aménagement de peine classique, tel profil inquiétant : il suffira de le soumettre durablement à une mesure de sûreté (v. P. Bruston, « La rétention de sûreté est-elle une modalité d’application des peines ? », AJ pénal 2008. 403). Cette évolution déjà perceptible avec le premier train de mesures de sûreté (loi du 12 déc. 2005) risque de devenir largement dominante avec le second. Elle conduit droit dans le mur. Les mesures de sûreté auront par hypothèse été imposées sans que l’intéressé se soit investi dans un projet quelconque. Rappelons d’ailleurs que le législateur ne permet pas de contraindre la personne soumise à une surveillance judiciaire des personnes dangereuses (SJPD), ou à son clone perpétuel, une surveillance de sûreté au travail, à une formation, à l’indemnisation de la victime, toutes choses qui participent précisément de l’insertion sociale. C’est que la logique n’est pas à la reconstruction, au retour à une vie citoyenne ; elle est uniquement à la défense sociale. Manifestement les leçons de l’histoire récente n’ont pas été apprises : voilà que l’on mise à présent tout sur le soin, comme si le crime n’avait qu’une cause, le désordre mental, erreur déjà commise naguère aux USA (Il faut relire J.-Y. Syr, Punir et réhabiliter, Economica, 1990). Mais ce soin sera encore doublé d’un contrôle intense, lequel a fait également preuve de ce qu’il ne fonctionne pas : le contrôle sans la tutelle sociale, sans l’accompagnement dans un projet d’insertion ne fonctionne pas, là encore l’état déplorable actuel de la probation aux Etats-Unis nous l’enseigne.
Le contrôle intense et uniquement tourné vers la défense sociale échoue encore lorsqu’il n’est pas progressif. Il ne peut « tenir » que s’il s’accompagne d’allègements successifs des contraintes. C’est d’ailleurs ce que nous ont déjà appris les quelques années d’expérience de la SJPD ainsi d’ailleurs que du PSEM. Sans une telle progression, que fort heureusement nos conseillers d’insertion et de probation ont spontanément mise en œuvre grâce à leur culture traditionnelle d’équilibre à cet égard, aucun ancien condamné ne peut durablement se soumettre.
Décidément, c’est bien à un tournant majeur que l’on assiste dans l’exécution des peines, depuis que le législateur, comme en procédure pénale, en a fait le symbole de politiques pénales forcément répressives et multiplie, jusqu’à la lie, les réformes successives. D’ailleurs une nouvelle loi récidive est déjà promise.

Une nième « loi récidive » annoncée
Mais qu’est-ce donc que ce droit abscons et délirant qui procède par hybridation folle de mesures, éparpillement processuel hystérique (avec tout de même pour agenda d’évincer le Jap et le Tap) et réitérations compulsives ? Une nième loi récidive était-elle bien nécessaire ? Les autres n’auraient-elles eu aucune efficacité ? Certes, comme le révèle l’exposé des motifs, l’objectif principal sera de compléter la loi du 25 février 2008 notamment à la lumière de la décision du Conseil constitutionnel du 21 février 2008. Il sera ainsi obligatoire pour les juridictions régionales de la rétention de sûreté de vérifier effectivement si les personnes qui feront l’objet d’une rétention de sûreté s’étaient bien vues proposer des soins adéquats durant la détention. Le caractère exceptionnel de la rétention de sûreté serait encore renforcé par l’affirmation selon laquelle nul ne pourrait y être soumis sans qu’il soit établi qu’un renforcement des obligations de la surveillance de sûreté ne serait pas suffisant. Un correctif technique a par ailleurs été introduit, qui, classique, prévoit la suspension de la rétention de sûreté et de la surveillance de sûreté en cas de détention provisoire ou condamnation pour autre cause. Autre correctif : il est énoncé, conformément à la recommandation n° 10 du rapport Lamanda, que la surveillance de sûreté sera possible dès l’élargissement d’un condamné qui aurait été antérieurement soumis à une SJPD, laquelle se serait soldée par un échec, puisqu’il serait retourné en détention pour terminer de purger le solde retiré de ses réductions de peine.

Reste que cette addition sans fin de lois révèle bien leur échec à toutes : face au crime ainsi qu’à sa répétition, le champ pénal ne peut seul suffire. Quand nos sociétés se regarderont-elles enfin fonctionner et s’attaqueront-elles aux causes du crime : complexité délirante du monde, crises économiques chroniques, ghettoïsation, images violentes, dégradation de l’image des femmes, régression morale, déshumanisation folle de la période primale, échec du système éducatif de masse…

Martine Herzog-Evans
Professeur à l'Université de Reims

Quand l’élève s’affranchit du maître : Mantegna vs Squarcione

« Andrea fut si aimable, si digne d’admiration dans toutes ses actions qu’on se souviendra toujours de lui, non seulement dans sa patrie mais dans le monde entier ». C’est en ces termes que Vasari s’exprimait à propos d’Andrea Mantegna. Et si le peintre de Padoue n’a pas aujourd’hui la notoriété de certains de ses compatriotes, il est bien sûr que l’exceptionnelle exposition qu’est en train de lui consacrer le Louvre contribuera à donner tout son sens à cette élogieuse prédiction. D’ailleurs, Vasari n’était pas seul. Huysmans, Proust, d’Annunzio ou encore Degas et Moreau ne s’y étaient pas trompés. C’était tous là de fins admirateurs de la peinture de Mantegna.

L’évènement est d’importance. A plus d’un titre. Près de 180 œuvres sont réunies pour l’occasion, et quand on sait les difficultés techniques que peut revêtir le déplacement de peintures vieilles de près de six siècles, la prouesse n’est que plus belle. Tous sont là, les grands Mantegna. Et de partout. Le Saint Sébastien d’Aigueperse, bien sûr. Mais aussi Saint Jérôme dans le désert, de Sao Paulo, L’adoration des mages de New York ou encore l’inestimable triptyque de San Zeno, heureux tourangeau. Manque toutefois cruellement à l’appel le Christ mort que Milan a conservé, afin de le préserver.

La biographie de Mantegna, l’« un des enfants chéris de la culture décadente internationale » (G. Agosti, Récit de Mantegna, Musée du Louvre – Hazan, 2008, p. 67), laisse immédiatement ressortir un fait majeur : le succès rapide. Des ateliers de Squarcione à la Cour des Gonzague à Mantoue, en passant par la Rome d’Innocent VIII, l’histoire du berger d’Isola di Carturo, petite bourgade des environs de Padoue, né en 1431 et marié à la fille de Bellini, est celle d’une ascension linéaire.

Mais l’homme n’est pas de ceux qui s’en laissent conter. La préservation de ses droits a semble-t-il toujours été une préoccupation chez cet artiste au caractère bien trempé. Plusieurs fois, les Gonzague se sont occupés de ses litiges, tempérant ainsi les tracas pouvant en résulter.

A ce propos, il faut dire qu’il fit son entrée de manière fracassante. On sait que Mantegna, certainement par l’entremise de son frère Tommaso, fut très tôt placé en apprentissage à Padoue chez Francesco Squarcione, lui-même assez procédurier et fils de notaire. L’atelier de ce dernier, dont la postérité n’aura guère gardé que cette Vierge à l’Enfant conservée à Berlin, formait sans doute les meilleurs peintres de la ville, véritable « carrefour artistique » de l’époque. Et si Squarcione n’a pas vraiment connu la gloire en tant que telle, il ne faut certainement pas mésestimer son influence sur la formation des artistes de son temps. En 1926, Longhi remarquait si bien que « bien que cela semble relever de la fantaisie, je sens profondément que tout ce qui survient entre Padoue et Ferrare et Venise, entre 1450 et 1470 […] eut son origine dans cette bande de vagabonds désespérés, fils de tailleurs, barbiers, cordonniers et paysans, qui passèrent durant ces vingt dernières années dans l’atelier de Squarcione » (cité par G. Agosti, préc.).

Il n’était pas rare que le maître adopte l’un de ses poulains. Ce qu’il fit d’ailleurs avec le jeune Andrea, qui figure à ce titre dans les statuts de la corporation des peintres de Padoue, en 1441. Mais il n’était pas rare également que ces derniers se retournent contre lui. C’est ce que fit aussi Andrea. Et, c’est là un singulier épisode judiciaire, à propos duquel d’ailleurs, les sources sont pauvres. L’évènement est bien difficile à dater. En majorité toutefois, les auteurs se prononcent pour 1455 (1448, pour G. Agosti, préc.).

Lié par contrat à son ancien maître, Mantegna, parmi d’autres, cherchait à s’émanciper. C’est ainsi qu’il dut se présenter à Venise devant le Conseil des Quarante, cette institution de la Sérénissime qui faisait office d’organe judiciaire d’appel. Les pièces du procès ont d’ailleurs été conservées. Qu’il se sente exploité par son ancien père adoptif, ou que ce soit le résultat de la haine que vouait celui-ci à l’endroit de Bellini, l’on ne sait vraiment. Il n’empêche. Il y eut procès et Andrea obtint gain de cause, plaidant, notamment, qu’il était mineur à cette époque (sur cette affaire, V. not., A. Blum, Mantegna, biographie critique, Henri Laurens Editeur, 1939, p. 12). Squarcione le prit particulièrement mal et l’on put remarquer que s’élevèrent chez lui, à partir de ce moment, certaines critiques à propos de l’œuvre de son protégé.

Il est difficile de déterminer si le différend qui opposa l’élève au maître fit des émules. Il reste que la fréquence des ateliers et le foisonnement artistique de l’époque ont certainement dû donner lieu à des désaccords se manifestant ensuite sur le terrain juridique. Ce qui est certain toutefois, c’est qu’il témoigne de cette indépendance bien caractéristique d’Andrea Mantegna et qu’il n’aura cesse de conserver par la suite. L’élève souhaitait ainsi s’affranchir du maître ; le droit de l’époque lui a réservé un accueil favorable. Cependant, force est de constater que le peintre de Padoue ne fit, en réalité, que passer d’une dépendance à l’autre, de celle de Squarcione à celle des Gonzague, au service desquels il s’attacha. Mais peu importe, finalement. L’important est bien que Mantegna ne fut jamais privé de ce style qui lui est si particulier, de ce style dont l’exposition du Louvre rend, une fois encore, magistralement compte.

Thibault de Ravel d’Esclapon

Exposition Mantegna
Jusqu’au 05 janvier 2009
Musée du Louvre – Hall Napoléon

De la cendre (sans statut) à la cendre (avec statut)…

Le législateur n’a jamais consacré un statut juridique pour les cendres issues de la crémation d’un cadavre, seul un décret récent prenait la peine de poser quelques principes en matière de « traçabilité » des dépôts effectués en dehors des cimetières (décret du 12 mars 2007 relatif à la protection des cendres). Comme l’ont rappelé les sénateurs Sueur et Lecerf (Rapport du 31 mai 2006) , l’absence d’assimilation des cendres aux éléments ou aux produits du corps humain emporte des conséquences importantes, et, notamment, conduit à des comportements jugés inadmissibles par ces deux parlementaires (querelles familiales pour le partage des cendres, abandon des urnes dans des décharges publiques…) ; il s’agissait de faire en sorte que ces cendres soient traitées avec respect, décence et dignité et bénéficient de la même protection que le corps des personnes inhumées.
Une proposition de loi adoptée par le Sénat le 22 juin 2006, ayant pour origine le rapport précité ainsi que d’anciennes propositions de loi du sénateur Sueur, est venue introduire, outre d’utiles mesures de simplification de la législation funéraire, reprises et modifiées l’Assemblée nationale, de nouvelles dispositions concernant le droit de la crémation afin de régler un grand nombre de ces difficultés. C’est cette proposition qui a été amendée puis adoptée par l’Assemblée nationale le jeudi 20 novembre 2008, les députés adoptant peu ou prou les mesures votées par le Sénat.

Un statut pour les cendres

C’est sur le double plan civil et pénal que l’Assemblée nationale a suivi la Haute assemblée.
 
Tout d’abord, les dispositions du code civil concernent désormais directement les cendres puisqu’un nouvel article 16-1-1 (adopté en termes identiques par les deux chambres) vient indiquer que « les restes des personnes décédées, y compris les cendres de celles dont le corps a donné lieu à crémation, doivent être traités avec respect, dignité et décence. ».
Par ailleurs, le respect dû au corps de l’article 16-2 du même code s’entend « y compris après la mort » (le Sénat avait adopté une disposition similaire sous forme d’un alinéa séparé). Ce dispositif permettra d’apporter une véritable protection civile aux cendres qui ne pourront plus être au centre d’activités commerciales notamment.
Ensuite, la protection de l’intégrité du cadavre, née avec le nouveau code pénal (et directement inspirée de l’ignoble profanation du cimetière juif de Carpentras), vise expressément les urnes cinéraires à la suite de la modification de l’article 225-17 du code pénal adopté par les deux assemblées (la protection pénale des cendres n’étant jusqu’alors que celle de la sépulture).

S’il est possible de critiquer cette intervention du législateur dans un domaine où régnait une grande liberté - ou un grand désordre - comme lorsque ces dispositions avaient été adoptées par le Sénat (J.-P. Feldman, Un Parlement en cendres, D. 2006. Point de vue. 92), force est d’admettre qu’il parait difficile de laisser au juge, au hasard des procès, la mission d’indiquer ce que sont juridiquement les cendres humaines, alors que la pratique crématiste dépasse désormais les 25 % dans les grandes agglomérations.

La destination des cendres

Par ailleurs, en abandonnant la liberté de conserver les cendres à domicile lorsque cette conservation a été désirée par le défunt lui-même (avant le décret cette conservation répondait au libre choix de la famille en l’absence de dispositions prises par le défunt), l’Assemblée nationale valide les options retenues par le Sénat, et qu’avaient écartées le décret précité du 12 mars 2007. Désormais, le choix est simple : soit les cendres seront, parce que telle était la volonté du défunt, dispersées en pleine nature sauf sur les voies publiques, soit les cendres intégreront une sépulture traditionnelle ou un équipement réservé aux cendres (inclus dans un site cinéraire d’un cimetière), équipement qui devient obligatoire pour les communes ou établissements publics compétents de 2000 habitants et plus (le Sénat avait fixé le seuil à 10 000 habitants).

Par ailleurs, le Sénat avait institué une nouvelle option consistant, pour une durée de six mois, en la possibilité de déposer l’urne et les cendres au crématorium, afin de laisser un délai de réflexion aux familles quant à la destination des cendres. L’Assemblée non seulement double ce délai pour le dépôt dans le crématorium, mais ajoute par ailleurs la possibilité d’un dépôt provisoire dans un édifice de culte, alors que le dépôt non provisoire dans un tel édifice est depuis toujours (décret du 23 prairial an XII) prohibé (article L. 2223-10 du code général des collectivités territoriales).

La question des sites cinéraires

Outre l’instauration d’une sanction pénale pour la gestion d’un site cinéraire privé après le 31 juillet 2005 (il est fait référence aux premières règles posées en matière de sites cinéraires par l’ordonnance du 28 juillet 2005 relative aux opérations funéraires d’ailleurs expressément ratifiée par les parlementaires), est consacré l’abandon de la possibilité offerte aux communes, depuis l’ordonnance de 2005 précitée, de déléguer la gestion d’un site cinéraire, dès lors qu’il est situé en dehors d’un cimetière, même si ce site n’est pas l’accessoire d’un crématorium. Ne pourra donc être déléguée que la gestion des sites contigus aux crématoriums.

Damien Dutrieux
Consultant au CRIDON Nord-Est
Maître de conférences associé à l’Université de Valenciennes

Un mariage forcé

Où l’on retrouve les époux « annulés » remariés, en grande pompe : les mariés de Lille 2.

« Cette affaire privée dépasse la relation entre deux personnes et concerne l'ensemble des citoyens de notre pays, et notamment les femmes » exposait la Chancellerie en mai dernier.
Le 17 novembre 2008, la cour d’appel de Douai a infirmé le jugement du Tribunal de grande instance de Lille (1er avr. 2008). L’appel du ministère public, à l’encontre de l’annulation du mariage pour erreur sur les qualités essentielles du conjoint, est recevable et bien fondé.

A la lecture de la décision, les grands principes fleurissent de part et d’autre : vie privée, liberté du mariage, non-discrimination, sincérité, confiance, fidélité, respect, ordre public, indisponibilité de l’état des personnes (art. 9 c. civ., art. 8 et 12 Convention EDH)… La famille, le consentement, la volonté, les obligations du mariage, la communauté de vie sont également bien présents.
Mais, il est un mot qui, de façon surprenante, n’apparaît jamais : religion (ni religieux). Tout au plus voit-on apparaître - une fois - les termes de « communauté » et de « tradition ». La virginité de l’épouse ne sera, en appel, abordée que prudemment, en second plan, derrière une « vie sentimentale antérieure », point non plus de « liberté sexuelle », seule la « libre disposition de son corps » est évoquée.

Pudeur et prudence manifestes pour écarter des objections de discrimination ou d’inégalité entre hommes et femmes, éviter les terrains glissants de la liberté sexuelle ou de la vie privée, éviter enfin de parler de religion dans le cadre d’un mariage civil, et donc laïc.

Pourtant, le mariage n’est pas un acte juridique comme les autres. Son éventuelle annulation conduira à tenir compte d’éléments particuliers et personnels. Or, c’est notamment la conception religieuse que l’époux a du mariage, en l’espèce, qui rend pour lui essentielle l’absence de relations sexuelles avant le mariage.

Comment articuler (et concilier) deux appréciations distinctes autour d’un même sujet : l’appréciation subjective de l’erreur sur les qualités essentielles et l’appréciation objective de la conception (française et laïque) du mariage ?

Tentons de retrouver quelques fondamentaux.

En 1862, l’arrêt Berthon déclencha de vives protestations en refusant d’annuler un mariage alors que l’épouse avait découvert que son mari était un ancien bagnard libéré. On reprocha aux juridictions françaises leur excès de rigueur. Jurisprudence et loi, en 1975, acceptèrent l’erreur sur les qualités essentielles pour permettre à des époux d’annuler plus facilement leur mariage (rappelons que nos voisins européens connaissent également l’erreur sur les qualités essentielles ou même, le dol en matière de mariage).
Aujourd’hui, reprochera-t-on à Mme Berthon de faire preuve de discrimination quand elle demandera l’annulation de son mariage alors qu’au regard de la société, son mari a purgé sa peine ? Y aura-t-il discrimination quand un mari demandera l’annulation de son mariage en découvrant l’homosexualité de sa femme ?

En appel, l’épouse conteste avoir menti à son époux avant le mariage « affirmant que sa vie sentimentale passée n’avait pas été abordée ». Or le mensonge peut se commettre « par action et par omission »… En l’espèce, elle devait connaître l’importance de ces faits pour son mari et l’avoir tu constitue un silence volontaire sur une qualité qu’elle savait essentielle pour son futur. Et, si elle l’ignorait, les consentements ne se sont alors pas rencontrés.
Si l’on écarte le dol (en mariage, trompe qui peut) c’est pour tous les petits mensonges « d’embellissement » des futurs époux lesquels font parfois de sincères efforts qu’ils ne tiendront pas. Ce silence mensonger (volontaire) semblait donc fondamental. La cour d’appel de Douai le dénie de la façon suivante :

« Le mensonge qui ne porte pas sur une qualité essentielle n’est pas un fondement valide pour l’annulation du mariage. »

On ne peut qu’adhérer à ce premier point, mais le second est davantage sujet à caution :

« Tel est particulièrement le cas quand le mensonge prétendu aurait porté sur la vie sentimentale passée de la future épouse et sur sa virginité, qui n’est pas une qualité essentielle en ce que son absence n’a pas d’incidence sur la vie matrimoniale ».

Or, le code civil ne prévoit pas que l’erreur « subjective » porte sur une qualité dont l’absence aurait une incidence sur la vie matrimoniale. Et quels seraient ces éléments dont l’absence aurait une telle incidence ? Une nouvelle appréciation subjective émergerait : incidence pour les uns, non pour les autres. En l’espèce, pourquoi le mensonge de l’épouse n’aurait-il pas précisément une incidence sur la vie matrimoniale ?

L’erreur sur les qualités essentielles (art. 180 c.civ.) implique une appréciation objective et subjective.

Comme le disait M. Fulchiron  : « les considérations subjectives, propres à chacun des époux, doivent rester dans le cadre objectif de l'institution matrimoniale ».

Mais la question est : pour l’époux qui demande la nullité, tel élément était-il déterminant ?
Il faut, selon le doyen Carbonnier, tenir compte, dans chaque espèce, des circonstances de l’union, de la personnalité des époux et retenir parfois comme ayant été essentielle au projet telle qualité qui ne l’aurait point été dans la moyenne des cas. Et le doyen de citer : l’appartenance religieuse, l’absence de divorce antérieur, l’absence de descendance naturelle (Droit civil, La famille, PUF).

En l’espèce, l’époux a, semble-t-il, prouvé le caractère déterminant pour lui, dans sa conception du mariage de l’absence de « passé sentimental » et donc de la virginité de sa future épouse (en prenant bien soin de ne pas évoquer la virginité seule). De façon plus neutre, il invoque une « erreur sur la confiance » : confiance et fidélité réciproques, sincérité.
Mais la cour d’appel lui reproche de n’être pas parvenu à établir le mensonge de l’épouse (les témoignages relatant des faits indirects et insuffisamment probants). Quant à l’acquiescement de l’épouse, il portait sur l’annulation du mariage et donc sur des droits dont elle n’avait pas la libre disposition (art. 408 c. pr. civ. [atteinte à l’indisponibilité de l’état des personnes]).
Pourtant, la cour d’appel de Douai adopte elle-même une approche assez « traditionnelle », non écrite dans le code, en exposant que les époux ont cherché à atteindre un but non étranger à l’union matrimoniale : fonder une famille (Civ. 1re, 20 nov. 1963, Appietto), puis plus loin : la volonté de s’unir durablement.

Les associations de défense des femmes qui ont pris l’initiative de « libérer » cette femme, qui ne les avait pas sollicitées, crient aujourd’hui victoire et disent leur joie d’avoir aidé leur consœur. En quoi ? Elle est dorénavant liée par le mariage, tenue à une communauté de vie alors que le couple ne s’entend plus. L’épouse a même, en appel, reproché au ministère public une ingérence dans sa vie privée et familiale (art. 8 Convention EDH), et que dire de la médiatisation de l’affaire alors que les débats ont eu lieu en chambre du conseil… ?
C’est oublier que la nullité relative en matière de mariage est une nullité de protection. N’est-ce pas la crainte d’une forme française de répudiation qui a conduit les associations à s’insurger ? Il y a certes des communautés, des traditions. Il faut certes, protéger ceux qui subiraient les « lois » de certains. Mais une répudiation cachée se retrouvera tout autant dans un divorce.
Ces associations, parties en guerre contre les mariages forcés (expressément évoqués dans les interviews accordées pour commenter la décision…), ont ici réussi à forcer un mariage.

Il ne reste plus aux époux qu’à solliciter un divorce un peu déguisé. Écartant les faits antérieurs au mariage, cause de leur séparation, ils devront exposer des faits postérieurs dans l’hypothèse d’un divorce pour faute (un manquement au devoir de respect de l’article 212 pour l’épouse, par exemple), ou former une demande conjointe (accord sur leur désaccord originel), un divorce pour acceptation du principe de la rupture du mariage ou enfin, un divorce pour altération définitive du lien conjugal (art. 237), le mariage (et donc la séparation) remontant au 26 juillet 2006, les deux ans de séparation sont accomplis.

Presque tous les cas de divorce sont réunis : n’est-ce pas à dire qu’aucun ne convient réellement ? N’était-ce pas de nullité de mariage qu’il s’agissait ?

La question demeure : veut-on maintenir les nullités de mariage et particulièrement, l’erreur sur les qualités essentielles ?

Aline Cheynet de Beaupré
Maître de conférences à l’Université d’Orléans

Qui n’entend qu’une cloche n’entend qu’un son

Le coq chante, les chiens aboient, les tourterelles roucoulent et les cloches sonnent. Qu’on le veuille ou non, ces bruits, incontestablement perturbants, font partie du quotidien d’un village rural. Vouloir les faire cesser peut paraître déjà inopportun. Recourir au juge administratif pour y parvenir, avec succès, pourrait alors sembler parfaitement déplacé. Sauf lorsque ces bruits sont le résultat d’un progrès technique dont l’utilité n’est pas absolument évidente, qu’ils ne correspondent en rien aux usages locaux et qu’ils traduisent, de surcroît, une mauvaise volonté assumée de la municipalité de les faire cesser. Le jugement rendu le 16 octobre 2008 par le tribunal administratif de Dijon sera sans doute à cet égard à inscrire dans les annales, sinon au Recueil Lebon…

M. et Mme Poupon ont acquis en 1992 une maison à Saint Apollinaire, où ils pensaient trouver tranquillité et sérénité propres à toute petite commune (Saint Apollinaire, qui fait partie de la communauté d’agglomération de Dijon, ne compte que 6 200 habitants). Mais voilà, en fait de tranquillité, leur habitation, située à 50 mètres de l’église, s’est avérée sujette à nuisances : le bruit occasionné par les sonneries des cloches de l’église, dont la fréquence s’est amplifiée à partir du moment où la mairie a décidé d’électrifier le clocher.

Aussi, par courrier recommandé en date du 21 avril 2006, les époux Poupon ont-ils demandé au maire de leur commune de supprimer l’ensemble des sonneries civiles des cloches de l’église, marquant, chaque jour de l’année, dimanches et jours fériés compris, toutes les heures du jour, entre 8 heures et 20 heures. Alors que le maire avait, dans un premier temps, dans un souci d’apaisement et à leur demande, accepté d’en réduire l’amplitude initialement fixée entre 7 heures et 22 heures, il a, cette fois-ci, décidé d’opposer un refus implicite à leur requête. C’est ce refus que les époux ont entendu contester devant le juge administratif… avec succès.

L’on pourrait en sourire, mais l’affaire est sérieuse. Les arguments juridiques invoqués s’appuient en effet, en ces temps où la séparation de l’Église et de l’État est remise en cause au plus haut niveau de l’État, sur la loi du 9 décembre 1905 et son règlement d’application.

Débouté une première fois par le tribunal administratif de Dijon (jugement du 23 févr. 2006), au motif qu’ils ne s’étaient pas fondés sur ces textes et qu’ils ne faisaient pas état d’un préjudice anormal et spécial, les époux Poupon ont, cette fois ci, entendu se prévaloir de la loi de 1905 et exiger la suppression des seules sonneries « purement civiles ». Selon l’article 27 de la loi du 9 décembre 1905 en effet : « […] Les sonneries des cloches seront réglées par arrêté municipal, et, en cas de désaccord entre le maire et le président ou directeur de l'association cultuelle, par arrêté préfectoral. Le décret en Conseil d'Etat prévu par l'article 43 de la présente loi déterminera les conditions et les cas dans lesquels les sonneries civiles pourront avoir lieu ». Tel est l’objet de l’article 51 du  décret du 16 mars 1906 qui précise que : « Les cloches des édifices servant à l’exercice public du culte peuvent être employées aux sonneries civiles dans les cas de péril commun qui exigent un prompt secours. Si elles sont placées dans un édifice appartenant à l’État, au département ou à la commune ou attribué à l’association cultuelle en vertu des articles 4, 8 et 9 de la loi du 9 décembre 1905, elles peuvent, en outre, être utilisées dans les circonstances où cet emploi est prescrit par les dispositions des lois et règlements, ou autorisé par les usages locaux ».

Il résulte de ces dispositions combinées et toujours en vigueur que l’emploi des cloches d’un édifice cultuel à des fins civiles est légal, à conditions que les sonneries soient autorisées par un dispositif législatif ou réglementaire ou soient le reflet d’usages locaux. Les juridictions administratives ont eu l’occasion, par le passé, d’annuler plusieurs arrêtés municipaux autorisant l’emploi des cloches des églises à l’occasion de cérémonies civiles privées, en l’absence d’un usage local antérieur à la loi du 9 décembre 1905 (CE, 5 août 1908,Braux et autres, Rec. p. 867 ; CE, 8 juill. 1910, Abbé Bruant, Rec. p. 567 ou encore CE, 8 déc. 1911, Abbé Martin, Rec. p. 1146).

Ainsi que l’a fort justement souligné le Commissaire du gouvernement Olivier Tainturier, dans ses conclusions sous l’affaire : « Ces dispositions, destinées à l’origine à apaiser les conflits entre autorités civiles et confessionnelles, ont été sinon dévoyées, du moins détournées de leur objet : elles ne sont plus désormais invoquées par des âmes pieuses, scandalisées de voir les sonneries civiles se substituer aux sonneries religieuses, mais par des oreilles en pénitence. Mais peu importe la fin, puisque, pour le juriste au moins, seul compte le moyen de droit ».

Il appartenait donc au tribunal administratif de déterminer si les sonneries civiles des heures du jour, comportant un nombre de coups égal à la valeur de l’heure, répondaient, dans la commune de Saint Apollinaire, à un « usage local », c’est à dire à une pratique à la fois ancienne, constante et générale.

En l’espèce, les époux Poupon soutenaient que ces sonneries intempestives et excessives avaient été mises en place en décembre 2003, suite à la décision de la commune de procéder à l’électrification de la cloche de l’église. Et qu’elles ne correspondaient dès lors à aucun usage local. Ils produisaient sept attestations d’habitants ou d’ex-habitants de Saint Apollinaire, selon lesquelles les cloches se bornaient jusqu’alors à annoncer la messe du dimanche, ainsi que les mariages et enterrements ; soit des sonneries strictement religieuses, sauf tocsin ou annonce d’un incendie.

Pour sa défense, la commune arguait au contraire qu’il existait un usage local à Saint Apollinaire, consistant, « depuis des temps immémoriaux », à utiliser les cloches de l’église pour rythmer la vie du village et s’appuyait sur huit témoignages de citoyens de la commune confirmant cette position. Ces « anciens du village » y attestaient qu’arrivés à Saint Apollinaire durant l’entre-deux guerres, ils y avaient toujours entendu la cloche tinter le matin à 5h00, le midi et le soir : la cloche du matin marquait l’heure de la traite des vaches, celles de midi l’heure pour les cultivateurs de s’en retourner déjeuner. Certains de ces témoins de la commune précisaient en outre que la cloche sonnait ainsi « l’Angélus ».

Ainsi que le relève Olivier Tainturier, ces attestations ont évidemment été « pain bénit » pour les requérants : ils n’ont eu besoin, dans leur mémoire en réplique, que de citer le célèbre Littré. L’Angélus y est en effet défini à la fois comme « une prière en l’honneur du mystère de l’incarnation », qui « se fait trois fois le jour, le matin, à midi et le soir », et comme le « signal donné par la cloche d’une église au moment où l’on doit faire cette prière ». En fait de sonneries civiles, la plupart de ces sonneries n’étaient donc ni plus ni moins que les plus traditionnelles des sonneries religieuses.

Les juges ont ainsi fort logiquement estimé qu’il ne ressortait pas de ces témoignages que la sonnerie de la cloche de l’église, à chaque heure entre 8 et 20 heures, correspondait à un usage local. Dès lors, en refusant de supprimer les sonneries civiles litigieuses, le maire de la commune avait violé les dispositions précitées de l’article 51 du décret du 16 mars 1906 ; les époux Poupon étant en conséquence fondés à demander l’annulation de la décision implicite opposée par le maire à leur demande de suppression en date du 21 avril 2006.

Au-delà de ces forts intéressants aspects juridiques, cette affaire s’avère symptomatique de la dérive procédurière qui caractérise aujourd’hui la société française : les gens ne supportent plus la moindre nuisance, cherchent un bouc émissaire sur qui reporter leur mauvaise fortune et n’hésitent pas à aller devant le juge pour la moindre des broutilles. Que le changement de circonstances du fait de l’électrification du clocher ait entraîné une perturbation de la vie calme et rangée des époux Poupon est un fait incontestable. Que la fréquence des sonneries soit constitutive d’une gêne réelle, également. Que M. Poupon, en raison de ses fonctions de médecin généraliste astreint à des gardes ait besoin de se reposer, ne saurait être occulté. Que le maire de Saint Apollinaire, enfin, n’ait pas fait preuve d’une grande diplomatie relève de l’évidence. Mais quoi, la cloche sonnait déjà auparavant et de façon assez régulière. Et si cela avait dû déranger les époux Poupon, ils n’avaient qu’à acheter ailleurs : qui craint les cloches d’une église n’achète pas à cinquante mètres de celle-ci, mais s’isole le plus possible. Et s’il n’a pas pris la mesure de la nuisance en son temps, il lui reste toujours le loisir de déménager.

A lire ce jugement, je ne peux m’empêcher de penser à ce brave Néerlandais qui venait d’acheter une demeure dans le village de Dordogne où résidait mon grand-père et qui était venu lui demander de supprimer son coq qui le réveillait tous les jours, bien trop tôt à son goût. La réponse de mon grand-père fut courtoise mais ferme et, au ton employé, notre voisin néerlandais comprit très vite que son intégration dans le village, et donc sa tranquillité, allaient grandement dépendre de sa capacité à accepter un certain nombre de faits, qu’il pouvait légitimement considérer comme des nuisances, mais qui n’étaient que le quotidien des gens vivant « depuis des temps immémoriaux » en ce lieu où il avait fait le choix de s’installer. Il eut l’intelligence d’immédiatement le comprendre. Tel n’est pas, à l’évidence, le cas de tous nos concitoyens.

Philippe Lagrange
Maître de conférences à l’Université de Poitiers

Dreyfus, l’affaire

Maintenant que vous avez lu L’affaire Dreyfus : minutes du procès de Rennes publié en 2006 par les Editions Dalloz (824 p.), il est temps de passer à une lecture théâtrale plus personnelle de l’affaire. Personnelle mais néanmoins soutenue par des partenaires prestigieux tels que La ligue des droits de l’homme, la LICRA, France culture, HEC ou La chaîne parlementaire.

Voici la présentation de la pièce :

« De la fameuse dictée qui fut le prétexte à son arrestation jusqu’à la "parade de dégradation" dans la grande cour de l’École militaire ; de l’île du Diable au tristement célèbre procès de Rennes ; du mémorable « J’accuse » de Zola à sa réhabilitation, 12 longues années après le complot qui le broya, le capitaine Dreyfus revit et tente de comprendre la catastrophe dont il est la victime.

Grâce à cette démarche intellectuelle, une foi inébranlable dans sa patrie et une volonté de fer, il tente de sortir "par l’intérieur" de l’enfermement kafkaïen qu’on lui impose et devient ainsi le premier acteur de sa propre réhabilitation.

Une pièce politique, donc (au sens noble du terme), un siècle après les faits pour que, selon l’expression consacrée, ça ne se reproduise pas. Ce cri d’alerte est aussi et surtout une invitation à la tolérance et à la fraternité ».

Marina Brillié-Champaux

La Comedia - Salle des Pavés
6, impasse Lamier 75011 Paris
Pièce de Piereette Dupoyet
Montée par Stéphane Russel
Avec Perrine Dauger et David Arveiller
Le lundi à 19h00 du 22 septembre au 29 décembre 2008

Les Français et leur justice : l'éclairage du CSM

Le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) a rendu, courant octobre, son rapport d'activité pour 2007. L'intérêt principal de ce rapport tient en grande partie, non dans le compte-rendu de l'activité proprement dite, mais dans celui des réflexions du CSM sur le thème des relations entre les Français et leur justice.

L'analyse faite de la situation est éclairante : le constat de la crise de confiance, à la fois dans l'opinion, mais aussi chez les acteurs politiques, et, enfin, au sein même de l'institution est très finement étudié. Des raisons sont avancées pour les expliquer, qui vont de l'absence d'une réelle formation civique, et donc d'un décalage entre la perception de la justice et l'attente qu'en ont les citoyens, à l'incursion fréquente du judiciaire dans le politique, en passant par le fossé croissant, au sein de l'institution, entre magistrats du siège et du parquet. Pas de pessimisme pour autant à l'énoncé des maux ; plusieurs remèdes sont évoqués pour y remédier, les uns faisant directement écho aux autres.

Au titre de l'éclairage des citoyens, le CSM fait plusieurs recommandations. Au premier chef, il semble indispensable de mieux enseigner les mécanismes de la justice aux citoyens, et ce dès leur plus jeune âge ; un enseignement au niveau du lycée serait sans doute le mieux approprié.
La proposition de faire entrer les médias dans les tribunaux est remise au goût du jour, comme le suggérait le rapport Linden, rendu le 22 mai 2005. Ce dernier entrevoyait deux options : le principe de la liberté encadrée, ou celui de l'autorisation préalable de filmer et d'enregistrer, qui était favorisé. Le procureur général de la cour d'appel de Paris, Laurent Le Mesle a ainsi récemment pris position en faveur de cette ouverture des juridictions, en déclarant notamment : « mon idée, c'est que les Français connaissent mal leur justice, mais qu'en réalité elle fonctionne beaucoup mieux qu'ils ne le pensent. Les magistrats ont tout à gagner à ce que l'on montre leur travail. »

S'agissant des rapports entre magistrats et acteurs politiques, il est recommandé qu'aucune réforme ne soit envisagée sans véritable étude d'impact (le CSM précisant « la première qualité de la loi est sans doute sa rareté »). Ce n'est pas là une opinion nouvelle, mais il n'est sans doute pas inutile de le rappeler, comme ont pu le faire par le passé, déjà, le Sénat, l'Assemblée nationale, le Conseil constitutionnel, ou encore le Conseil d'État (V. notamment le rapport pour l'année 2005 sur « la sécurité juridique et la complexité du droit » - Conseil d'État dont le rapport pour l'année 1991 énonçait déjà, dans une belle formule, « quand le droit bavarde, le citoyen ne lui prête plus qu'une oreille distraite »). L'on sait que faire preuve de pédagogie, c'est répéter…

Est encore préconisée l'organisation de rencontres régulières, de manière institutionnelle ou conventionnelle, entre les magistrats et les élus.

Enfin, des remèdes sont avancés afin de conforter l'institution judiciaire : systématiser des réunions inter-services, rendant compte notamment des difficultés rencontrées et des bonnes pratiques ; assumer la dualité du corps des magistrats, à la fois en cultivant la différence et l'autonomie des uns par rapport aux autres, tout en travaillant ensemble pour les aspects d'organisation et de gestion des dossiers pénaux.

Marie-Eve Charbonnier

De l’armistice à la capitulation

Armistice : n. m. (lat. arma, armes, et sistere, s’arrêter). Convention par laquelle des belligérants suspendent les hostilités sans mettre fin à l’état de guerre.

Bien que la sonorité latine du terme laisse supposer le contraire, le concept d’armistice est relativement récent puisqu’il a été élaboré par les légistes du XVIe siècle, et plus particulièrement par le néerlandais Hugo Grotius et l’allemand Samuel von Pufendorf.

Huig de Groot (nom d'origine de Grotius), avocat de formation, pose, notamment dans son ouvrage De jure belli ac pacis, la théorie de l'État puissance civile : le droit international public est né. Tout naturellement, Grotius en vient à s’interroger sur la guerre et les droits des belligérants. La plupart des nations, dans lesquelles le droit a un fondement social, religieux, moral ou éthique, s’accordaient en effet, selon le précepte fides etiam hosti servanda de Saint Augustin, pour estimer que la parole donnée ou la promesse faite à un ennemi devait être tenue. Cette règle morale était non seulement valable dans la chrétienté mais également dans les pays pratiquant l’Islam puisque l'obligation de respecter, aussi bien dans leur lettre que dans leur esprit, toutes les clauses d'un traité était un devoir rigoureux et proprement sacré (V. M.A. Draz, Le droit international public et l'Islam, RICR, mars 1952, p. 207).

La déloyauté, ou la perfidie, étaient donc proscrites, en temps de guerre comme en temps de paix. Il est d’ailleurs notable, à ce sujet, de remarquer que le Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux du 8 juin 1977, consacre, en son titre III (Méthodes et moyens de guerre, statut de combattant et de prisonnier de guerre) un article entier à la perfidie, la distinguant, à l’aide d’une définition et d’exemples précis, de la ruse de guerre, qui est, elle, autorisée :

Article 37 - Interdiction de la perfidie
1. Il est interdit de tuer, blesser ou capturer un adversaire en recourant à la perfidie. Constituent une perfidie les actes faisant appel, avec l'intention de la tromper, à la bonne foi d'un adversaire pour lui faire croire qu'il a le droit de recevoir ou l'obligation d'accorder la protection prévue par les règles du droit international applicable dans les conflits armés. Les actes suivants sont des exemples de perfidie :

a) feindre l'intention de négocier sous le couvert du pavillon parlementaire, ou feindre la reddition ;
b) feindre une incapacité due à des blessures ou à la maladie ;
c) feindre d'avoir le statut de civil ou de non-combattant ;
d) feindre d'avoir un statut protégé en utilisant des signes, emblèmes ou uniformes des Nations Unies, d'États neutres ou d'autres États non Parties au conflit.

2. Les ruses de guerre ne sont pas interdites. Constituent des ruses de guerre les actes qui ont pour but d'induire un adversaire en erreur ou de lui faire commettre des imprudences, mais qui n'enfreignent aucune règle du droit international applicable dans les conflits armés et qui, ne faisant pas appel à la bonne foi de l'adversaire en ce qui concerne la protection prévue par ce droit, ne sont pas perfides.
Les actes suivants sont des exemples de ruses de guerre : l'usage de camouflages, de leurres, d'opérations simulées et de faux renseignements.

Schématiquement, on pouvait distinguer deux cas de figure dans lesquels les sciences juridiques étaient amenées à garantir les droits des combattants : les conventions internationales chargées de régir les rapports permanents entre puissances ennemies, d’une part - emploi ou non de certaines armes ; réglementation des signaux, des communications ; traitement des prisonniers, conventions de neutralité ; etc. -, et, d’autre part, les conventions ayant pour objet la réglementation des rapports temporaires. Cette dernière catégorie pouvait, au temps de Grotius, compter en ses rangs, les sauf-conduits, les lettres de protection, les rançons, les contributions de guerre, l’échange de prisonniers, et, bien entendu, l’armistice et la capitulation.

S’agissant de ces deux dernières catégories, il convient de les distinguer nettement : la capitulation consiste en une proposition, rédigée par une partie, qui offre sa soumission, l’autre partie répondant par la même voie.

Un armistice, en revanche, est une trêve ayant pour objet une suspension des hostilités. Il n’est, selon la définition qu’en donne Grotius, qu’un arrêt momentané et consenti des combats, destiné, généralement à, certes, préparer une paix future mais, également, à reconstruire ses forces en vue d’une reprise des assauts. En clair, l’armistice est un statu quo. A ce titre, il pose des questions existentielles et controversées telles que : « peut-on, à l’occasion d’un armistice, réparer ses brèches et construire de nouvelles défense ? ». La théorie avait ses défenseurs (Grotius lui-même, Pufendorf) mais également ses contempteurs (Wheaton, Vattel). Quoi qu’il en soit, il est défendu à l’assaillant, pendant ce laps de temps, de continuer ses travaux de siège. La reprise des combats doit être précédée d’une dénonciation de l’armistice.

Avec les années, et, notamment, le concept de guerre totale inconnu des contemporains de Grotius, l’armistice est devenu, dans les faits, une capitulation inconditionnelle. On comprendra dès lors aisément, et bien que la définition de l’armistice donnée par la Convention de La Haye de 1907 fasse mention d’une suspension temporaire des opérations de guerre (art. 36), que les hauts responsables militaires allemands n’ont, en 1918, jamais utilisé ce terme dans leurs pourparlers.

Seul le chancelier allemand Max de Bade emploiera le mot armistice - alors que l’on préférait, prudemment, utiliser le vocable d’offre de paix – dans une note du 4 octobre 1918. L’offre de paix allemande prenait alors, au détour d’un armistice, le sens de capitulation, de défaite.

Une défaite bientôt remise en cause (« Vous étiez vainqueurs quand même », Journal du parti nazi, Völkische Beobachter, cité par Gerd Krumeich, « Vu d’Allemagne », Historia n° 336, p. 56) par la propagande nazie…

Anthony Astaix