En cas d'adoption, des dérogations permettant l’ouverture le dimanche pourraient être accordées à certains magasins si la demande en était faite au préfet par le conseil municipal et sous réserve d’un accord des partenaires sociaux. La rémunération serait doublée, un repos compensateur accordé et, surtout, la possibilité de refuser de travailler le dimanche garantie aux salariés. Devant le tollé déclenché par sa présentation, elle a toutefois été sagement remisée au fond d'un tiroir…
C’est dans ce contexte que le Conseil d’État, le 11 mars 2009, a annulé la décision de la cour administrative d’appel de Paris qui avait validé l’autorisation préfectorale d’ouverture le dimanche accordée à l’établissement Louis Vuitton situé sur le côté Sud de la « plus belle avenue du monde » (faut-il préciser que l’on parle ici de l’avenue des Champs-Elysées ?).
Cet arrêt fournit l’occasion de s’interroger sur les critères permettant de bénéficier d’une dérogation à l’obligation de repos dominical. Grande est la variété des solutions jurisprudentielles.
Il existe aujourd’hui deux fondements aux dérogations applicables au repos dominical : d'une part, l’article L. 3132-20 du code de travail et, d’autre part, l’article L.3132-25 du même code.
S’agissant du premier, l’article L. 3132-20 exige, pour être applicable, que le repos dominical soit préjudiciable au public ou qu’il compromette le fonctionnement normal de l’établissement. La cour de Versailles (CAA Versailles, 18 mars 2009, n° 04VE01189) a considéré, concernant une parfumerie Marionnaud située à Saint Denis, que le préjudice du public n’était pas démontré et que le magasin ne pouvait se prévaloir de l’importance de son chiffre d’affaires dominical (il n’apportait pas la preuve de l’impossibilité de reporter ce chiffre sur les autres jours de la semaine). La Cour a ainsi rejeté sa demande tendant à l’annulation de l’arrêté préfectoral refusant de l’autoriser à déroger pendant un an à l’obligation de repos dominical.
Les magasins Grand Optical (CAA Paris, 18 mars 2009, n° 04PA00176) et Virgin Megastore situés sur les Champs-Elysées ont connu le même sort. Pour le premier, la nature des produits vendus et la possibilité de reporter les achats sur un autre jour de la semaine empêchait la qualification d’un préjudice au public, d’autant que l’avantage octroyé par la fourniture de lunettes « en une heure » ne devait pas nécessairement être satisfait le dimanche. Quant au Virgin Megastore, le Conseil d’État, sans autre précision, a estimé qu’il ne ressortait pas des pièces du dossier que le repos simultané de tout le personnel le dimanche pouvait être regardé comme préjudiciable au public.
Comment expliquer alors que l’établissement « la carterie », situé avenue et Rond-point des Champs-Elysées, ait obtenu, devant le Conseil d’État, l’annulation du refus qui lui avait été opposé par le préfet ? En raison des articles de carterie, des cadeaux et des souvenirs qu’il commercialise bien sûr ! Pour le juge administratif suprême, la fermeture dominicale aurait en effet compromis la satisfaction des besoins de l’importante population touristique qui fréquente ce secteur.
L’application de la dérogation à l’obligation de repos dominical issue de l’article L. 3132-20 du code du travail dépend ainsi plus de la nature des produits vendus que de la situation géographique ou économique de l’établissement en cause.
S’agissant du second fondement, l’article L.3132-25 du code du travail requiert, pour son application, une localisation de l’établissement de vente au détail dans une zone touristique ou thermale, et une mise à disposition du public de biens et de services destinés à faciliter son accueil ou ses activités de détente ou de loisirs.
Dans ce domaine, le juge n’est pas faiseur de systèmes (pour reprendre le mot de Jean Rivero). Ainsi, le Conseil d’État a annulé l’arrêté préfectoral de décembre 2005 autorisant l’ouverture dérogatoire du magasin Louis Vuitton situé sur les Champs-Elysées le dimanche.
En première instance, le tribunal administratif de Paris avait annulé cet arrêté, mais la Cour administrative d’appel prit la position inverse en estimant notamment que les articles proposés par Vuitton, de maroquinerie, joaillerie, vêtements et accessoires, faisaient partie des attraits touristiques de la capitale.
En cassation, les juges du Palais-Royal ont considéré que l’article L.3132-25 du code du travail devait être interprété strictement. L’arrêt du 11 mars 2009 énonce que les produits de maroquinerie, joaillerie, vêtements et accessoires vendus par le géant du luxe, ne sont pas, par nature (c’est nous qui soulignons) et indépendamment des conditions dans lesquelles ils sont présentés, des biens et services destinés à faciliter l’accueil du public ou les activités de détente ou de loisirs d’ordre sportif, récréatif ou culturel au sens dudit article.
Ne pouvait-on toutefois soutenir que les livres d’art et de voyage vendus dans le magasin constituaient, eux, des biens de nature culturelle, et qu’à ce titre on se trouvait dans le champ de la dérogation ? Le Conseil d’État répond clairement que, proposés à titre accessoire « pour accompagner et promouvoir la vente des autres articles de la marque », ils ne permettent pas de modifier l’analyse. Enfin, l’article L. 3132-25 du code du travail ne concerne que les biens et services mis à la disposition du public à titre onéreux ; dès lors, les espaces d’exposition et les manifestations culturelles accessibles gratuitement au public n’entrent pas non plus dans son champ d’application.
La cour de Paris n’en était pas à son premier essai puisqu’elle avait autorisé une autre grande marque de luxe, la société Barbara Bui, à ouvrir le dimanche son magasin situé rue des Francs-Bourgeois dans le quartier du marais (4ème arrondissement de Paris) en annulant le refus de dérogation prononcé par le Préfet.
Situé dans une zone touristique d’affluence exceptionnelle, nous dit la Cour, le magasin Barbara Bui, étant donné l’activité et la renommée internationale de la « maison », devait être regardé comme mettant à la disposition du public des biens et des services destinés à faciliter ses activités de détente ou de loisirs d’ordre sportif, récréatif ou culturel.
D’où une interrogation : les situations des magasins Vuitton et Barbara Bui sont loin d’être fondamentalement différentes et, pourtant, l’un s’est vu refuser la dérogation alors que l’autre bénéficie du droit d’ouvrir le dimanche. Or, ils sont situés dans des zones touristiques d’affluence exceptionnelle, commercialisent des produits de luxe et bénéficient tous deux d’une renommée internationale ! Quid du principe d’égalité ?
Au vu des autres décisions rendues en la matière, il apparaît clairement que le critère d’implantation de l’établissement dans une zone touristique d’affluence exceptionnelle est loin d’être déterminant. Il suffit ici de citer le cas du centre commercial de la « vallée Disney village ». Autorisé à ouvrir le dimanche par arrêté préfectoral du 11 décembre 2000 car situé dans une zone touristique d’affluence exceptionnelle, la cour de Paris – encore elle ! - a considéré que les produits commercialisés ne pouvaient être regardés comme destinés à faciliter l’accueil du public ou ces activités de détente ou de loisirs. Elle a donc annulé l’autorisation d’ouverture le septième jour en précisant que la proximité et les liens commerciaux avec les parcs d’attraction de Disneyland étaient sans incidence sur la qualification juridique des produits vendus.
On nous dira sûrement que le caractère éminemment contingent des décisions rendues en matière de dérogations à l’interdiction du travail dominical est du au fait que le droit, dans ce domaine, se doit d’être souple et proche du concret…
Jean-David Dreyfus
Professeur à l’université de Reims
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