Le procès pénal a pour objet de constater l'existence de faits légalement prohibés, de les imputer à une personne puis d'individualiser la sanction en fonction de la personnalité de l'auteur et des circonstances.
L'instruction idéale doit donc permettre au juge d'approcher la vérité au plus près sous tous ses aspects : la vérité des faits, celle des auteurs, celle des victimes et celle de la société.
Pour cela il est nécessaire de réunir les éléments à soumettre au juge : c'est l'objet de l'instruction.
Dans notre système trois acteurs essentiels interviennent avant le jugement : le policier, le procureur et le juge d'instruction.
Depuis l'adoption de la loi du 15 juin 2000 un nouvel acteur est apparu : le juge des libertés et de la détention. Sa création a marqué une étape importante en ce qu'elle a eu pour effet de déposséder le juge d'instruction de la détention provisoire. En adoptant ce dispositif le législateur a voulu marquer que le placement en détention ne devait plus avoir pour objet de faire pression sur la personne mise en examen, dans le seul but d'obtenir sa "contribution spontanée" à la recherche de la vérité.
Aujourd'hui, malgré les réformes incessantes apportées à notre système d'enquête, un sentiment général d'insatisfaction s'exprime et, tout récemment, la suppression du juge d'instruction a été suggérée par le président de la République.
Faut-il supprimer le juge d'instruction ?
Ma réponse est oui, mais sous trois conditions.
Le procureur est actuellement soumis à l’autorité du gouvernement, ce qui signifie que ce dernier peut intervenir directement dans toutes les phases de l’enquête. Or, l'indépendance du juge ne peut suffire à garantir l'égale application de la loi à tous les citoyens puisque le juge, pour statuer, doit être saisi par le procureur.
La modification du statut des magistrats du parquet est donc la première condition, impérative et préalable, à la suppression du juge d'instruction.
S'il est légitime que le gouvernement puisse fixer des priorités de politique pénale, dont au demeurant le premier responsable est le législateur à travers l'adoption des lois pénales, il est problématique qu'il intervienne dans l'engagement de l'action publique, que ce soit pour l'accélérer, la freiner ou en orienter le cours.
Supprimer le juge d'instruction, magistrat du siège, tout en maintenant la dépendance des magistrats du parquet vis-à-vis du gouvernement, conduirait à aggraver la confusion entre les deux pouvoirs alors qu'ils devraient être clairement distincts.
Dès lors qu'il applique la loi et qu'il se réfère aux instructions générales de politique pénale, ce qui fonde sa légitimé, le procureur doit demeurer libre dans la conduite de l'action publique, ce qui, bien entendu, ne fait obstacle ni à ce qu'il rende compte de son action ni à ce qu'un contrôle,
a posteriori, soit exercé.
La deuxième condition, tout aussi importante, est celle de la direction effective de la police judiciaire par le procureur.
Si le juge ne peut connaître que les affaires dont le procureur l'a saisi, ce dernier est, lui-même, très largement dépendant de la police judiciaire.
En l'état des réalités pratiques et administratives, et malgré la lettre des textes, l'activité de la police judiciaire échappe très largement à la direction des procureurs. Affirmer et organiser l'autorité effective du procureur apparaît d'autant plus nécessaire que l'adoption du
projet de loi relatif à la gendarmerie, récemment adopté par le Sénat, placera police et gendarmerie sous l'autorité du seul ministre de l'intérieur.
Enfin, troisième condition, pendant toute la durée de l'enquête un juge doit être chargé non seulement de prendre les mesures contraignantes appropriées, mais il doit également pouvoir être saisi à tout moment par toute partie qui ne pourrait obtenir du procureur les investigations qu'elle estimerait nécessaires à la défense de ses intérêts légitimes. Toute conduite d'enquête étant susceptible de manquer de neutralité ou d'impartialité, ce recours au juge est indispensable pour assurer l'égalité des armes.
Ainsi organisée, l'instruction des affaires pénales, tournant le dos au système inquisitoire dont elle est issue, s'inscrirait résolument dans la logique du contradictoire sans présenter les inconvénients du système accusatoire.
Au-delà de l'instruction des affaires pénales, la clarification des rôles entre magistrats du siège et du parquet ainsi que des relations entre le gouvernement et la justice, devraient contribuer à restaurer la confiance des citoyens dans leur justice.
Au demeurant, cette clarification n'implique pas l'absence de toute relation.
Partie à part entière de l'appareil d'État, la justice ne peut s'isoler dans sa tour d'ivoire, elle doit savoir dialoguer tant avec les autres institutions publiques qu'avec les citoyens.
Ce dialogue, qui est indispensable, devrait être organisé dans un cadre institutionnel qui pourrait prendre la forme d'un Conseil supérieur de la justice. Composé de représentants du parlement, du gouvernement et de l'institution judiciaire, un tel organisme aurait une incontestable légitimité tant pour élaborer des instructions de politique judiciaire que pour en contrôler l'application.
Ainsi, aux rapports de pouvoir et aux jeux de domination, pourraient se substituer des échanges constructifs, fondés sur un dialogue transparent et respectueux des fonctions de chacun.
Jean-Pierre DintilhacPrésident de chambre honoraire à la Cour de cassation
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