La loi de modernisation de l’économie du 4 août 2008 n’en finit pas d’étonner. L’étendue des innovations qu’elle recèle tient de l’inventaire à la Prévert. Et parmi celles-ci, certaines ont été largement médiatisées. Mais d’autres se sont faites plus discrètes. Ainsi en va-t-il de ces nouveaux fonds de dotation, mis en œuvre par l’article 140 de la loi nouvelle, et qui viennent bouleverser le paysage du mécénat français (F. Le Brun, La révolution des fonds de dotation, Les Echos, 19 sept. 2008).
A ceux qui militaient pour la création d’une structure de ce type, au côté du conservateur du Louvre, Henri Loyrette, le législateur a répondu. Une structure souple est mise en place, à même de recevoir un capital dont les revenus seront affectés à « la réalisation d’une œuvre ou d’une mission d’intérêt général ». Que la mesure figure dans la LME n’est pas sans surprendre, tant cette législation nouvelle fait office de « boîte à outils ». Qu’elle s’y trouve au sein du titre III, « mobiliser l’attractivité au service de la croissance », est en revanche riche de sens…
L’innovation a reçu son lot d’emphases. De même, malgré la pauvreté du débat parlementaire à son propos, le fonds de dotation a ravivé, pour un temps, le clivage droite/gauche, notamment quant à la légitimité de son introduction (Assemblée Nationale, 2ème séance du 10 juin 2008). Mais là n’est plus la question. Les fonds de dotation font partie du droit positif, et méritent, en tant que nouvel instrument à la disposition des philanthropes, une étude approfondie (v. www.fonds-dotation.fr, source de nombreuses informations).
L’idée est venue du monde anglo-saxon. Le modèle de référence fut les « endowments funds », ces gigantesques réservoirs d’argent à la disposition des institutions culturelles, sociales et universitaires. Les chiffres sont connus. Harvard disposerait d’un fonds pourvu de plus de 30 milliards de dollars, la fondation Getty, environ 5,8 (v. les discours de Madame Lagarde, Ministre de l’économie, et Monsieur Loyrette, Séminaire du 19 nov. 2008 sur les fonds de dotation, Bercy). D’autant que la philanthropie des donateurs y est fortement influencée par un dispositif fiscal très avantageux.
Ce modèle a rapidement attiré l’attention des artisans du projet du Louvre - Abu Dhabi (N. Herzberg, Le Louvre veut placer sur les marchés financiers l’argent d’Abu Dhabi, Le Monde, 6 mars 2008). L’idée que la manne des 400 millions d’euros puisse transiter par une structure de ce type et s’administrer avec une certaine autonomie leur est apparue séduisante. Et sous l’impulsion de la rue de Valois, puis de Bercy, le projet s’est récemment concrétisé.
L’article 140 de la loi met en place les fonds de dotation, dotés de la personnalité morale. Ils peuvent être constitués par une personne physique comme par une personne morale, pour une durée déterminée ou indéterminée. L’économie du dispositif est bien simple. Les fonds reçoivent et gèrent des biens et droits de toute nature, lesdits actifs ayant été apportés à titre gratuit et irrévocable. L’utilisation des revenus de la capitalisation est balisée. Ainsi, ils ne pourront être employés qu’à la seule réalisation d’une œuvre ou d’une mission d’intérêt général. L’emploi peut aussi être indirect. En effet, le fonds peut décider de redistribuer lesdits revenus pour assister une personne morale à but non lucratif dans l’accomplissement de ses œuvres et de ses missions d’intérêt général. A ceux qui considéraient que l’expression « intérêt général » était assez floue, Madame Lagarde en a dessiné les contours. Ce sont celles qui sont assignées aux universités, aux bibliothèques, aux musées et aux organismes qui concourent à la santé et à la recherche (2ème séance du 10 juin 2008). Et la liste n’est certainement pas exhaustive.
La constitution d’un fonds de dotation se caractérise par une grande souplesse. C’est d’ailleurs, de l’avis unanime de la doctrine, ce qui en fait l’un de ses avantages les plus saillants. Une simple déclaration à la préfecture, en y joignant les statuts, suffit. Cette déclaration est publiée au Journal Officiel ; c’est la date de publication qui donnera naissance à la personnalité morale. Espérons que ces deux dates ne soient pas trop éloignées dans le temps, de sorte que l’on ferait ainsi l’économie de difficultés liées à une éventuelle période de formation des fonds de dotation.
Les ressources financières du fonds sont de deux sortes. En premier lieu, la dotation, elle-même constituée de la dotation en capital initiale (pour lesquelles aucun montant minimum n’est prévu) et des dons et legs qui viendront s’y ajouter par la suite. En principe, ladite dotation est intangible. Elle ne peut être consommée, sauf à ce que les statuts en prévoient la possibilité. La dotation ne peut provenir de fonds publics. Une exception est toutefois prévue. A titre exceptionnel, dans certaines conditions particulières, de tels fonds pourront être versés, à la condition qu’un arrêté conjoint des ministres chargés de l’économie et du budget soit rendu. A certaines conditions, le fonds pourra faire appel à la générosité publique.
En second lieu, pour l’essentiel, les revenus générés par la dotation. Ce sont ceux-ci qui, en principe, seront utilisés pour mener à bien la mission du fonds. Le fonds peut les utiliser librement, dans la limite de son objet social. Les conditions de la gestion financière de la dotation censée générer ces revenus devront être déterminées par un décret que l’on attendait pour la fin de l’année. Les textes n’ont toutefois pas encore paru.
Le texte prévoit la possibilité de legs à un fonds futur, c’est-à-dire à un fonds qui n’existe pas encore au jour de la succession. Mais encore faut-il que le fonds projeté acquière la personnalité morale dans l’année de l’ouverture de la succession. La personnalité morale rétroagira au jour de ladite ouverture. On perçoit ici toutes les difficultés auxquelles pourra donner lieu cette période, et dès lors le testateur aura tout intérêt à désigner des personnes chargées de procéder à la constitution du fonds.
L’organisation du fonds est assez souple. Les potentialités statutaires sont larges. Le texte impose toutefois la création d’un conseil d’administration, comprenant au moins trois administrateurs, au nombre desquels l’on pourra trouver les fondateurs.
Le pendant de cette liberté qui préside à la création et à l’organisation du fonds est la mise en place d’une certaine transparence. Transparence tout d’abord au niveau des statuts, lesquels pourront être adressés à toute personne intéressée.
Transparence ensuite, au niveau des comptes. Ils devront être publiés dans les six mois suivant l’expiration de l’exercice. Ne pas publier les comptes est une infraction, sur le modèle du droit des sociétés. Un commissaire aux comptes doit être nommé, assisté d’un suppléant. Cette obligation ne s’impose toutefois que dans les seuls fonds dont le montant total des ressources, et non la dotation, dépasse la somme de 10.000 euros. Il reste que pour générer 10.000 euros d’intérêts, une dotation en capital de 250.000 euros sera nécessaire, ce qui diminue sérieusement le nombre de situations dans lesquelles un commissaire sera nommé (F. Le Brun, La générosité à l’épreuve de la crise, Les Echos, 12 déc. 2008).
Une procédure d’alerte, à l’initiative du commissaire aux comptes, est envisagée, dans des termes encore similaires au droit des sociétés. En effet, si celui-ci, dans l’exercice de sa mission, relève des faits de nature à compromettre la continuité de l’activité, il devra enclencher la procédure, laquelle comprendra la rédaction d’un rapport spécial et une information de l’autorité administrative.
Le contrôle de l’autorité administrative ne s’arrête pas là. Elle s’assure de la régularité du fonctionnement du fonds. A cet effet, elle peut se faire communiquer tout document utile, et un rapport d’activité lui est adressé chaque année. En cas de dysfonctionnements graves, l’administration peut décider, à certaines conditions, de suspendre l’activité du fonds.
D’un point de vue fiscal, le dispositif est attractif. Les fonds ne seront pas assujettis aux impôt commerciaux pourvu qu'ils restent dans le domaine du non-lucratif (Création des fonds de dotation, Droit Fiscal, 2008, n° 36, 469, p. 74). De même que les dons effectués par des particuliers ou par des entreprises entraîneront des réductions d'impôt. Il est enfin prévu une exonération des droits de mutation à titre gratuit pour les dons et legs effectués en faveur du fonds.
Dotés d’une réglementation solide et relativement équilibrée, les fonds de dotation vont donc pouvoir faire leur preuve. Le Louvre est déjà sur les rangs, n’attendant, semble-t-il, plus que la publication des décrets d’application. Ils vont donc commencer à se mouvoir dans le paysage du mécénat français déjà munis d’instruments. Il leur restera à trouver leur place entre les fondations classiques, les associations et les nouvelles fondations universitaires issues de la LRU. Aux yeux de ses promoteurs, le fonds de dotation promet pourtant de grandes réalisations, le canevas réglementaire ne demandant plus qu’à être ouvert, pour reprendre le mot de notre ministre de l’économie. Et le résultat ne peut qu’être perfectionné, un comité stratégique censé émettre des recommandations en vue de l’amélioration du dispositif a déjà été mis en place. Les fonds de dotation prendront-ils le pas sur les autres institutions ? Rien n’est sûr. Mais, l’on ne risquerait pas grand-chose à pronostiquer un succès certain. « Schématiquement : il fallait auparavant choisir entre la facilité (via le statut de l’association) et la capacité juridique (celle de la fondation ou de l’association reconnue d’utilité publique) » (O. Cousi et A. Entraygues, Fonds de dotation, une seconde jeunesse pour le mécénat, Journal des Arts, n° 293, 12 déc. 2008, p. 27). Désormais, la synthèse est faite.
Thibault de Ravel d’Esclapon
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