Les craintes d’un fichage général de la population suscitées, dans les années 70, par le projet « SAFARI » étaient bel et bien fondées. Ce projet gouvernemental avait pour but d'identifier chaque citoyen par un numéro et d'interconnecter sur la base de cet identifiant tous les fichiers de l'administration. Si les outils sont aujourd’hui plus sophistiqués – mais pas moins dangereux ! -, la multiplication des fichiers informatiques comportant des informations sur les mineurs ne saurait laisser indifférent.
Les libertés publiques, y compris des plus jeunes, y trouvent-elles leur compte ? Le Conseil d’État vient de rappeler que les mineurs ont des droits et que leur régime carcéral doit être adapté conformément aux stipulations des articles 3-1 et 37 de la convention internationale du 26 janvier 1990 relative aux droits de l’enfant.
Il y a d’abord EDVIGE (Exploitation documentaire et valorisation de l'information générale), fichier de police informatisé créé par le décret 2008-632 du 27 juin 2008 pouvant recueillir des informations sur les mineurs âgés de 13 ans et plus « qui, en raison de leur activité individuelle ou collective, sont susceptibles de porter atteinte à l'ordre public ».
Suite aux protestations, EDVIGE est devenu EDVIRSP fichier au sein duquel seront seulement répertoriées les personnes « dont l'activité individuelle ou collective indique qu'elles peuvent porter atteinte à la sécurité publique ». Si le fichage peut débuter dès 13 ans, il est désormais prévu que les données seront effacées au plus tard à l'âge de 21 ans…Est-ce vraiment suffisant ?
Il existe surtout déjà une application informatique « Base élèves 1er degré », réalisée par les services de l'éducation nationale et expérimentée depuis décembre 2004 (généralisation prévue à la rentrée de septembre 2009). Elle est présentée par le ministère comme un « simple » dossier, une aide à la gestion des élèves pour tous les acteurs locaux (directeurs d'école, mairies, inspections de circonscription et inspections académiques), qui peuvent ainsi partager en temps réel les informations nécessaires au fonctionnement du 1er degré sans ressaisie, ni perte de données.
Déclarée à la Commission nationale informatique et libertés (CNIL) depuis le début de l'expérimentation, soumise à la loi informatique et libertés de 1978, cette application proposerait les mêmes fonctionnalités que l'application scolarité utilisée par l'ensemble des établissements scolaires du second degré depuis le début des années 1990.
On est toutefois très au-delà du simple dossier scolaire informatisé : le fichier comprenait en effet jusque récemment 60 items parmi lesquels figuraient l'adresse et le pays (mention obligatoire) des personnes à contacter en cas d'urgence. Or, ce type de mention est-il conforme à la finalité déclarée du fichier (faciliter la gestion d'établissement et la gestion statistique nationale) ?
Plus fondamentalement, comme le relevait un parlementaire (Question N° 26304 de M. François Brottes, JOAN 28 oct. 2008, p. 9297), la fiche de renseignement informant Base élèves ne semblait pas satisfaire à toutes les recommandations de la CNIL relatives à l'informatique et aux libertés : interdiction de collecter des données faisant apparaître directement ou indirectement les origines raciales ou ethniques, obligation d'informer la personne auprès de qui sont recueillies les données de l'identité du responsable du traitement de ces données et des conséquences éventuelles à son égard en cas de défaut de réponse…Et l’on sait que le Conseil constitutionnel, dans une décision du 15 novembre 2007, a considéré que « si les traitements nécessaires à la conduite d'études sur la mesure de la diversité des origines des personnes, de la discrimination et de l'intégration peuvent porter sur des données objectives, ils ne sauraient, sans méconnaître le principe énoncé par l'article 1er de la Constitution, reposer sur l'origine ethnique ou la race ».
Le ministère se devait de réagir. C’est chose faite avec l’arrêté du 20 octobre 2008 portant «création d’un traitement automatisé de données à caractère personnel relatif au pilotage et à la gestion des élèves de l’enseignement du premier degré » (JO 1er nov.).
Cet arrêté était attendu. Après avoir fait supprimer les critères ethniques (v. article 4 de l’arrêté), le ministre de l'éducation avait indiqué en juin 2008 que le fichier « base élèves », recensant les élèves du primaire, allait être expurgé d'autres données comme « la profession et la catégorie sociale des parents », « la situation familiale de l'élève », « l'absentéisme signalé » ou « les données relatives aux besoins éducatifs particuliers ».
Son article 5 précise que « La durée maximum de conservation des données dans Base élèves premier degré n’excédera pas le terme de l’année civile au cours de laquelle l’élève n’est plus scolarisé dans le premier degré ». L’accès aux données est limité et varie en fonction de la qualité de la personne voulant consulter le fichier (Art. 6). Ainsi, par exemple, les maires, à leur demande, et les agents municipaux chargés des affaires scolaires individuellement désignés par eux, dans la limite de leurs attributions, sont habilités à accéder aux données à caractère personnel nécessaires à l’accomplissement de leurs missions (données relatives à l’identification et aux coordonnées de l’élève, à l’identité et aux coordonnées des parents ou responsables légaux ainsi que des autres personnes à contacter en cas d’urgence ou autorisées à prendre en charge l’élève à la sortie de l’école, à la scolarité suivie et aux activités périscolaires). Quant au principal du collège d’affectation de l’élève entrant en classe de sixième, il n’est habilité qu’à recevoir les données relatives à l’identification et aux coordonnées de l’élève, à l’identité et aux coordonnées des parents ou responsables légaux.
Si le progrès est notable, on soulignera toutefois deux points. En premier lieu, le droit d’opposition prévu à l’article 38 de la loi du 6 janvier 1978 ne s’applique pas au traitement prévu par l’arrêté du 20 octobre. En second lieu, alors que le dossier scolaire reste propriété de la famille, tel n'est pas le cas de Base élèves qui est, lui, propriété de l'État. Or, le secteur privé dispose, en application de l’ordonnance n° 2005-650 du 6 juin, du droit de demander communication des informations figurant dans ce fichier.
L’article 10 de cette ordonnance prévoit en effet : « Les informations figurant dans des documents élaborés ou détenus par les administrations (…) quel que soit le support, peuvent être utilisées par toute personne qui le souhaite à d'autres fins que celles de la mission de service public pour les besoins de laquelle les documents ont été élaborés ou sont détenus ».
Le ministère pourrait-il dès lors s’opposer à une utilisation à des fins marchandes, par le secteur privé, des données figurant dans la « Base élèves premier degré » ?
Jean-David Dreyfus
Professeur à l’université de Reims
Responsable du master 2 spécialité Droit public
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