Après la parution, le 22 mai 2008, d'un arrêté fixant les modalités d'enregistrement audiovisuel des interrogatoires des personnes en garde à vue ou mises en examen, le premier ministre, dans un communiqué de presse du 2 juin 2008, a rappelé à l'ensemble des acteurs du monde judiciaire que les dispositions de la loi du 5 mars 2007 relatives à l'enregistrement des gardes à vue et des interrogatoires d'instruction dans les affaires criminelles sont entrées en vigueur le 1er juin dernier (V. « Les nouvelles technologies au service de la procédure pénale », AJ pénal 2008. dossier. 460).
Les modifications des articles 64-1 et 116-1 du code de procédure pénale pour prévoir ces enregistrements relèvent du « gadget » pour certains ou permettent un rééquilibrage des forces pour d'autres (V. P. Vouland, Le renforcement de l'équilibre de la procédure pénale : en faveur des droits de la défense ?, AJ pénal 2007. 117 ; S. Garde-Lebreton, L'enregistrement des interrogatoires : un rééquilibrage des forces pendant la garde à vue, AJ pénal 2007. 462).
Quoi qu’il en soit, depuis 1999, l’enregistrement audiovisuel des auditions s’est étendu à plusieurs catégories de justiciables.
Les mineurs victimes
Initialement, ce dispositif a été conçu spécifiquement pour les victimes mineures de crimes et délits et plus particulièrement pour les victimes d’agressions sexuelles.
Afin d’éviter de faire répéter à une jeune victime déjà traumatisée la description des violences subies (et donc de les lui faire revivre), l’enregistrement de ses déclarations présentait un double avantage :
On disposait alors d’un support matériel utilisable par tous les acteurs de la chaîne pénale (enquêteurs, magistrats, experts, avocats) sans que la victime soit constamment replongée dans les affres de sa souffrance.
En outre, par ce biais technique, étaient figés dans le « marbre » ces instants si primordiaux des premières déclarations, avec les mots justes, les expressions du visage, les gestes, voire les dessins explicatifs.
Quelque temps plus tard, un nouveau panel de justiciables se voyait soumis à l’enregistrement audiovisuel ; les mineurs mis en cause.
Les mineurs mis en cause
Ainsi, lors d’une garde à vue, les auditions ou plus prosaïquement les interrogatoires, se devaient également d’être enregistrés. Là, il ne s’agissait plus de préserver les mineurs mais d’offrir aux délinquants privés de liberté, une sorte de garantie contre les éternels, bien que putatifs, « abus de pouvoir » des enquêteurs chargés d’une enquête judiciaire...
Cette mesure, à la différence de la première, se révèlera être un fiasco sans précédent tant les raisons de son échec sont nombreuses. Il ne faut pas bouder son plaisir de les énumérer au risque de n’être pas exhaustif.
Très rapidement, de jeunes délinquants aguerris ont parfaitement compris que l’enregistrement de leur interrogatoire aurait un impact fort lors d’une éventuelle diffusion durant l’instruction ou pire encore lors du procès devant un jury populaire. C’est une chose de lire un procès-verbal par définition dépersonnalisé et c’en est une autre que de voir le comportement, l’embarras, les hésitations, les insultes ou l’arrogance d’un mis en cause face aux questions précises des enquêteurs. Comme la loi l’autorise, de nombreux mis en cause ont donc refusé d’être filmés au grand désarroi de ceux qui pensaient naïvement les protéger de l’injuste toute puissance de la force publique.
Rapidement apparaissait également une vérité extrêmement dérangeante. Cet outil, peu contestable sur le fond (les enquêteurs sont malheureusement habitués à être constamment soupçonnés de tous les méfaits et donc encadrés par divers systèmes de surveillance) devait s’avérer n’être qu’un gadget ornemental. Sur les milliers d’enregistrements effectués depuis l’instauration de la loi, seule une infime quantité de ces vidéos aura été exploitée par la justice. Que ce soit pour des raisons techniques ou surtout pour des raisons de fond, personne n’a intérêt à se servir de ces fameuses vidéos. Les premiers à l’avoir compris auront été les avocats des mis en cause. Même à la faveur d’une contestation des propos retranscrits dans un procès-verbal, les cas de vérification procès-verbal/vidéos sont rarissimes. Pour les affaires criminelles passibles de la Cour d’assises, l’usage de l’image est immédiatement apparu comme un facteur d’affaiblissement de la défense et non l’inverse.
Est-il besoin d’évoquer les incidents techniques, les pannes de matériel, les ruptures de stock de CD-Roms, les multiples appels aux magistrats (avec les attentes au standard téléphonique) et les procès-verbaux relatant chacun de ces incidents ?
Ainsi, les seuls maillons de la chaîne judiciaire à subir la très lourde mise en œuvre de ces Vidéo-GAV restent bien évidemment les enquêteurs. Enquêteurs, qui au lieu de se concentrer sur la recherche de la vérité si primordiale dans les premières heures d’une enquête, sont perclus de formalismes dévoreurs de temps et de travail de fond… et soumis à peine de nullité procédurale !
Car aborder le thème des nouvelles technologies mises à disposition de la justice au sens large sans parler de la réalité d’une procédure pénale n’a aucun sens. Malheureusement en France, le progrès technique s’accompagne de régression administrative. La seule question qui vaille doit rester la même. Qu’est-ce qu’une procédure dans une enquête judiciaire ?
C’est un recueil de procès-verbaux qui relate à la minute près le travail des enquêteurs. Chaque recherche, chaque audition d’une personne – victime, témoin, mis en cause - , chaque recherche auprès d’une administration, d’une société ou d’une association, chaque écoute téléphonique ou recherche informatique, chaque expertise technique, tous ces actes constitutifs d’une enquête policière font l’objet d’un procès-verbal qui en rend compte dans le détail. Et faire une audition filmée d’une personne ne se résume pas à un seul procès-verbal. Cela implique autant de procès-verbaux que d’actes liés au fonctionnement de cette Vidéo-GAV. Et comble d’ironie, au moment où cet interrogatoire high-tech sera terminé il faudra encore emballer le cédérom dans un papier kraft, l’entourer de ficelle et le sceller avec de la cire et un sceau non pas royal mais républicain, avec bien sûr, une petite fiche manuscrite… et divers bordereaux d’enregistrement destinés à toutes les strates administratives de la Maison Police et de la Maison Justice.
Pour faire simple, on estime qu’en fin d’enquête, les volumineux dossiers rouges qu’on peut apercevoir bien empilés devant les magistrats de la Cour d’assises lors des procès médiatisés, ne sont constitués que de 35 % d’actes d’enquête pure pour 65 % d’actes liés au formalisme procédural !
Les majeurs dans les enquêtes criminelles
L’affaire d’Outreau devait bouleverser notre société et les professionnels de la justice.
Las, en 2006, l’excellent travail de la commission ad hoc devait, comme souvent, accoucher de mesures en trompe l’œil. On répondait à un incroyable enchaînement de légèreté et d’incompétence par une mesure que l’on savait déjà inefficace et contre-productive.
La loi du 5 Mars 2007 étendait donc la liste des prétendants à l’enregistrement audiovisuel des interrogatoires aux majeurs impliqués dans les affaires criminelles avec une entrée en vigueur au 1er juin 2008.
A l’aune de ce qui a été décrit plus avant, on comprendra que ce nouvel étage dans le « millefeuille procédural » désespère les policiers et, chose nouvelle, les magistrats qui eux aussi sont désormais soumis à la même suspicion législative. En effet, et c’est une première, tout nouveau texte instaurant un outil visant à contrôler le travail des policiers était jusque là salué par bon nombre de magistrats comme une preuve de bonne santé républicaine de notre société. Mais, confrontés eux-même à une mesure de défiance, l’analyse livrée n’a plus la même tonalité… Seuls les magistrats soucieux de l’efficacité de la justice osent encore s’élever contre ces gadgets dont le seul but semble être de tuer l’enquête judiciaire diligentée par les enquêteurs et les magistrats, puisque les uns ne vont pas sans les autres.
Enfin, la dernière évolution de Vidéo-GAV a révélé un autre dysfonctionnement, technique cette fois-ci, encore inconnu jusqu’alors.
La conception de ce nouveau logiciel a été faite dans une logique d’ensemble où Vidéo-GAV devait fonctionner en compatibilité (de support et de réseaux) avec tous les autres systèmes utilisés par la Police Nationale. Très récemment, la création du logiciel de rédaction de procédure « ARDOISE » remplaçant du vieux mais encore efficace « LRP » et ses déboires commentés dans les médias n’étaient que les prémices de ce que Vidéo-GAV 2 confirme, puisque (mal) conçus pour fonctionner sur le même réseau informatique.
Les fonctionnalités sont défectueuses, le système réseau l’utilisant se coupe régulièrement et entraîne des effacements de procès-verbaux qu’il est impossible de sauvegarder, les graveurs ne fonctionnent pas.
La Brigade des Mineurs de Paris, dès le premier jour d’application de ce nouveau système Vidéo-GAV, a été contrainte de se rabattre sur le vieux système initialement réservé aux mineurs pour pouvoir enregistrer des auditions de majeurs suspectés de faits criminels… Quel progrès !
Quel avenir pour la procédure pénale française ?
On ne peut plus aujourd’hui, vouloir conserver notre très lourde procédure traditionnelle tout en lui adjoignant de fausses bonnes idées venues d’ailleurs. Car il faudra bien qu’un jour nos plus hautes instances se décident enfin à déterminer de quelle politique pénale la France veut se doter pour l’avenir. Et la question est beaucoup plus simple qu’il n’y paraît :
Veut-on adopter le système accusatoire anglo-saxon où les avocats ont la main mise sur un système transactionnel (on transige, celui qui peut paie…) ou conserve-t-on notre système inquisitoire basé sur une procédure (à charge ET à décharge) dirigée par des magistrats et des enquêteurs qui recherchent la vérité et non pas un arrangement ?
L’inconstance politique et les tentatives de mariage contre nature des deux systèmes ne peuvent que conduire à la catastrophe. La justice française ne doit pas être le jouet de l’amateurisme et n’est pas non plus soluble dans des concepts issus des séries télévisées américaines.
Christophe Gesset
Commandant de Police,
Conseiller Technique auprès du Syndicat Synergie-Officiers
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