Du nicolaïsme en littérature,
c'est-à-dire de cette propension de l’homme d’église à rompre le vœu de célibat
auquel il est astreint, l’exemple le plus frappant reste le célèbre roman de
Zola, la faute de l’abbé Mouret.
Mais, se cantonner à ça serait oublier un peu vite l’un des chefs-d’œuvre de
Barbey d’Aurevilly, un prêtre marié.
Sans doute moins connu qu’une vieille
maîtresse, il n’en reste pas moins l’un des meilleurs témoins du talent de
cet écrivain.
Ce roman paru en 1865, est de la
plus pure veine « aurevillienne »,
en ce qu’elle a de tragique et de romantique, flamboyante tout autant que
fantastique. Tout y est puissant dans cette Normandie si chère à l’auteur, dans
ces bocages sauvages fournissant le cadre naturel de l’intrigue. Une puissance
d’ailleurs caractéristique du personnage principal, Sombreval. C’est en effet
lui, le prêtre, qui, au mépris des vœux qu’il prononça, choisit de se marier,
après avoir été envoyé à Paris. Il y embrassa la carrière de chimiste, épousant
la fille de son maître. Celle-ci décéda toutefois rapidement et Sombreval se
retrouva alors à s’occuper de son enfant, la toute chétive, mais non moins
superbe Calixte. La jeune fille est atteinte d’un mal incurable, auquel son
père a décidé de vouer un combat sans relâche, à coup de potions et autres
élixirs de sa fabrication.
Sombreval décide de retourner
chez lui, nonobstant la vindicte des autochtones qui choisissent de le
marginaliser. Tous, sauf un, Néel de Néhou, le fils unique du seigneur local,
qui s’éprend de Calixte. Et, dès lors, commence l’histoire de ces trios
qu’affectionne particulièrement Barbey. Un trio composé d’un soupirant,
amoureux éperdu de la fille de Sombreval, elle-même toute consacrée à une
dévotion sans borne tant pour la religion que pour son père, si bienveillant
envers elle.
C’est sur le Quesnay, un château
des environs, que le prêtre honni choisit de jeter son dévolu pour y demeurer.
De cette propriété appartenant jadis à une famille d’aristocrates déchus,
Sombreval se rend l’adjudicataire au terme d’une institution juridique dont la
présence dans les toutes premières pages du roman rappelle l’ancienneté :
la vente à la bougie. En effet, le château du Quesnay ne put y échapper, quand
bien même « un sentiment de
répugnance, qui tenait peut-être à une délicatesse de caste (…) empêcha
les gentilshommes du voisinage de paraître à cette vente aux bougies – espèce
de vente dont les formalités sont parfois la grande et sombre image de la ruine
qu’elle vient de constater » (p. 49).
On ne saurait s’étonner qu’un tel
procédé fut connu de l’écrivain. Après tout, Barbey d’Aurevilly fit des études
de droit, à la faculté de Caen, au terme desquelles il soutint une thèse, en
1833, consacrée aux causes qui suspendent
le cours de la prescription. Pas plus ne s’étonnera-t-on de la présence
d’un tel mécanisme à l’époque. La vente à la bougie remonte, dit-on, à une
coutume du XVe siècle, consacrée par le code de procédure civile de 1807.
Ce qui est sans doute plus
étonnant, c’est de remarquer que l’institution perdura encore à l’époque
contemporaine. L’ancien article 706 du code de procédure civile réglementa la
matière pendant près de deux siècles. Les immeubles saisis étaient vendus
devant le tribunal, au terme de ce procédé aujourd’hui quelque peu désuet.
Quel en était le mécanisme ?
Il consistait, selon l’article 705, à allumer successivement, une fois les
enchères ouvertes, des bougies préparées de manière que chacune ait une durée
d’environ une minute. L’article 706 indiquait que l’adjudication ne pouvait
être faite qu’après l’extinction des trois bougies allumées successivement.
Cet étrange procédé anachronique
n’a pas résisté à la critique. Cet instrument manquait de précision, voire de sécurité
(A. Leborgne, J.-Cl. Procédure civile,
Fasc. 877-80, n° 53). Il avait ainsi pu être remarqué qu’en certaines affaires,
le délai était loin d’être respecté (J. Prévault, L’évolution du droit de
l’exécution forcée depuis la codification napoléonienne, Mél. A. Vincent,
Dalloz, 1981, p. 297). L’institution passa à la trappe lors de la toute
récente réforme de la saisie immobilière. L’ordonnance qui s’en chargea, du 21
avril 2006, prévoyait que les dispositions relatives à la procédure
d’adjudication seraient précisées par décret. Ce fut chose faite, s’agissant de
la vente à la bougie, avec le décret n° 2006-936 du 27 juillet 2006, qui énonce
en son article 78 que « les
enchères sont arrêtées lorsque trois minutes se sont écoulées depuis la
dernière enchère. Ce temps est décompté par tout moyen visuel ou sonore qui
signale au public chaque minute écoulée ». Une légère modification
intervint quelque temps plus tard avec le décret n° 2006-1805 du 23 décembre
2006. Ce n’est plus de trois minutes dont il s’agit, mais de quatre-vingt-dix
secondes. De même, le moyen visuel ou sonore devra signaler l’écoulement de
chaque seconde.
La vente à la bougie n’est donc plus. Ce décorum qui traversa les siècles avec vaillance, fut défait par ce souci légitime de modernisation des techniques. Barbey d’Aurevilly, au détour de ce roman exceptionnel, fut ainsi l’occasion de se rappeler du trépas récent et dont on ne fit pas grand bruit, de cette drôle d’institution.
Thibault de Ravel d’Esclapon
J. Barbey d’Aurevilly (éd. par P. Berthier), Un prêtre marié, GF Flammarion, rééd. 1993.
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