Noël approche. Et, bien évidemment, surgit avec la délicate question des cadeaux. Alors, naturellement, le livre, quoi qu’on en dise, est souvent l’heureux complément d’une liste déjà bien longue, le recours fort utile aux âmes en peine d’idées. Mais il reste qu’une fois décidé cela, la difficulté subsiste. Il faut choisir. Et là, le défi est de taille.
Que l’ouvrage soit auréolé – affublé diront les mauvais esprits – d’un prix prestigieux, voilà sans doute un critère de choix. Et, dans le cénacle des récompenses littéraires, s’il en est bien un qui fait office de grand gagnant, c’est assurément le prix Goncourt. Créé il y a maintenant près de cent ans à l’initiative des deux célèbres frères, il est décerné à l’automne de chaque année. Et, pour 2007, l’heureux lauréat fut Gilles Leroy, pour son dernier opus Alabama Song. A le comparer à son prédécesseur – on se souviendra des Bienveillantes, de Jonathan Littel -, sans doute son roman, du point de vue de l’épaisseur, en est l’exact opposé. Mais que l’on ne s’y trompe pas, il n’a rien à lui envier. Brillant d’une érudition maîtrisée, servi par une langue fine et délicate, Alabama Song, s’illustre par une histoire originale. Non que la vie de Francis Scott Fitzgerald ne soit pas vraiment connue, bien au contraire. Mais ici, c’est du point de vue de son épouse, Zelda Sayre, que l’auteur se place. Eblouie par le sémillant écrivain, le père de Gatsby le Magnifique, et de Tendre est la nuit, elle l’accompagne dans cette vie mondaine, mais tellement destructrice. Pour une fin tragique d’ailleurs : elle décède au cours de l’incendie de l’asile dans lequel elle avait été internée. Et progressivement, Gilles Leroy donne naissance à un personnage attachant, empreint d’une extrême sensibilité.
Une fois encore, le Goncourt a donc fait son travail. Cependant, à scruter de plus près son histoire, force est de constater qu’il aurait pu en être autrement. Le fameux prix, dont aujourd’hui, malgré quelques critiques malintentionnées, personne ne songe à remettre en cause l’existence, faillit bien ne point naître (J.-H. Bauchy, L’étonnante succession Goncourt, JCP N. 1995. I. 492).
Ce n’est certainement pas par faute de volonté des Goncourt. En effet, la création d’une académie littéraire, composée d’une dizaine de membres, et chargée de récompenser un écrivain, a toujours été de leur désir. Si bien qu’au décès d’Edmond de Goncourt, en 1896, son testament instituait deux de ses amis, Alphonse Daudet et Léon Hennique, à titre de légataire universel, à charge pour eux d’employer l’actif de la succession à la création d’une telle académie. Le projet était possible, le dernier Goncourt décédait sans héritier réservataire.
C’était toutefois sans compter
sur ses cousins germains. Ces derniers, forcément déçus, ne l’entendirent pas
de cette oreille, et chargèrent un avocat chevronné, Chenu, d’attaquer le
testament olographe qu’ils estimaient spoliateur de leurs intérêts. Plusieurs
raisons fondaient leur demande. En réalité, toute la difficulté provenait du
fait qu’Edmond de Goncourt, malgré un dernier testament rédigé en 1892, modifié
en 1893 et déposé chez un notaire, avait établi une série de six ébauches, y
revenant sans cesse. Pour la partie demanderesse, en substance, une telle
multiplicité impliquait la fausseté de la date du testament. En conséquence, ce
dernier serait entaché d’une nullité absolue. Au soutien de cette argumentation
solidement étayée, s’était également développée l’idée selon laquelle le
testament litigieux ne pouvait être valable dans la mesure où les dispositions
étaient destinées à une personne incertaine et inexistante.
En face, Raymond Poincaré. On oublie souvent que celui que l’on targue d’avoir sauvé le Franc, fut un avocat lettré et brillant. En l’occurrence, il prit en charge la défense des légataires. Et devant le tribunal civil de la Seine, il prononça une plaidoirie remarquable, dont l’idée centrale consistait à affirmer que ce qu’il convenait de retenir, c’était bien la volonté de Goncourt. Cette volonté, celle de créer une société littéraire permanente, se trouvait cristallisée par le dernier testament de 1892, tel que modifié par son codicille de 1893. Et, dans un élan de lyrisme bien caractéristique du personnage, il concluait : « s’il fallait dire qu’après tant d’essais, après tant de remaniements, il n’a réussi qu’à formuler des vœux impuissants, il y aurait, Messieurs, je ne crains pas de le déclarer, dans cet échec inattendu de sa volonté une triste victoire de la lettre sur la pensée et du byzantinisme sur la saine et droite raison ».
Heureusement, Daudet et Hennique obtinrent gain de cause, par un jugement du tribunal civil de la Seine, rendu le 5 août 1897. Ce jugement fit sienne l’argumentation de Poincaré, insistant sur la volonté du de cujus et sur l’unité de l’ensemble des actes incriminés. L’appel interjeté par les demandeurs fut tout autant rejeté. Et nul pourvoi ne fut intenté.
C’est ainsi que le Prix Goncourt put être mis en place, par le truchement de cette reconnaissance judiciaire. L’académie fut rapidement créée, et le 1er prix fut remis le 21 décembre 1903 à Eugène Torquet, pour son roman Force ennemie, publié sous le pseudonyme de John-Antoine Nau. Plus de cent ans, donc. Cent années d’une histoire qui n’a pu naître que grâce à la clairvoyance de magistrats soucieux du respect des dernières volontés du défunt. Le monde des Lettres ne peut que s’en féliciter. Et ce ne sont certainement pas Proust, Malraux, Gracq, Gary ou encore Duras qui s’en plaindront.
Thibault de Ravel d’Esclapon
Prix Goncourt 2007 : Alabama Song, Gilles Leroy
Prix Goncourt des Lycéens
2007 : Le rapport de Brodeck,
Philippe Claudel
Prix Renaudot 2007 : Chagrin d’école, Daniel Pennac
Grand Prix du roman de l’Académie
Française 2007 : Ap. J-C,
Vassilis Alexakis
Prix Médicis 2007 : La stratégie des antilopes, Jean
Hatzfeld
Prix Fémina 2007 : Baisers de cinéma, Eric Fottorino
Prix Interallié 2007, Birmane, Christophe Ono-dit-Biot
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