A Beaune, ce dimanche 18 novembre, se pressait la fine fleur du gotha viticole. Il faut dire que l'évènement est attendu. Tous les ans, chaque 3e dimanche de novembre, selon un rituel quasi immuable et scrupuleusement observé depuis près de 150 ans, les Hospices civils de Beaune procèdent à la vente aux enchères de leur prodigieuse récolte, fournissant ainsi là l'occasion d'une des plus grandes ventes de charité au monde. Et sous l'égide de l'acteur Richard Berry, parrain de la manifestation pour cette édition 2007, la 147ème, dans l'ambiance bonhomme des halles de la cité bourguignonne, près de 4,6 millions d'euros auront été rassemblés. Une petite fortune, donc, qui viendra alimenter le budget d'un hôpital dont la longue tradition historique est bien celle d'un rare et complet dévouement, d'une philanthropie exemplaire remontant au XVe siècle.
A l'origine, un homme, Nicolas Rolin. Un ancien avocat d'ailleurs. Chancelier de Bourgogne en 1422, immortalisé par Van Eyck et Van der Weyden, il s'illustre au service des ducs bourguignons, amassant progressivement une fortune considérable. Soucieux de s'assurer la mansuétude divine alors qu'il approchait du trépas ou sérieusement préoccupé du sort de ses congénères les plus démunis ? Peu importe. Il reste que le chancelier autunois va s'employer à dépenser fort pieusement son pécule. Aidé de sa troisième épouse, Guigone de Salins, soutenu dans son entreprise par le pape Pie II, il se décide à fonder, en 1443, un hôpital entièrement dévoué à la cause des indigents. Et le 1er janvier 1452, le premier malade pénétre dans l'enceinte de cette exceptionnelle "grand Chambre des Pauvres", où s'affairent les "sœurs hospitalières", et au fond de laquelle trône majestueusement un retable du Jugement dernier, polyptyque de Van der Weyden. Près de six siècles plus tard, sous la forme d'un établissement public, l'institution de Nicolas Rolin perdure.
De prime abord l'association avec le monde viticole n'est pas évidente. Il reste qu'en Bourgogne, ce fin nectar n'est jamais vraiment loin, et bien naturellement, quand il s'est agi de nouveaux legs en faveur de l'institution, de nombreuses vignes en firent partie. C'est ainsi qu'à compter de 1457, date de la première donation de ce type, les hospices de Beaune se sont progressivement vu dotés d'un important patrimoine, au gré de la générosité de bienfaiteurs, essentiellement composé de coteaux célèbres. 60 hectares soigneusement travaillés par une équipe de 20 vignerons, les "tâcherons", et dont la production, 607 pièces pour cette année, est donc mise aux enchères, annuellement, depuis 1859.
Il reste que cette manifestation n'a pas manqué de susciter diverses interrogations d'un point de vue strictement juridique. Et, rapidement, revient en tête cet arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de Cassation, le 21 avril 1976, à propos de l'institution fondée par Nicolas Rolin (Civ. 1ère, 21 avr. 1976, JCP G, 1977, II, 18695, note Y. CHAPUT), et qui, assez classiquement et compte tenu des vertus pédagogiques dont il se voit affublé du fait de la célébrité de ses acteurs, illustre tout enseignement relatif aux actes de commerce. Précisément, commerciale ou civile, la question de la nature des activités des Hospices, quand ces derniers se livraient à la vente du vin qu'ils récoltaient s'est ainsi posée en jurisprudence. L'enjeu était de taille ; il s'agissait de déterminer si la vente organisée annuellement par les Hospices relevait ou non du champ d'application des courtiers de marchandises assermentés, dont le statut est régi par le décret du 29 avril 1964, récemment modifié en 1994. A supposer qu'il en fut ainsi, la vente de la Halle de Beaune n'aurait pu échoir aux commissaires-priseurs, ainsi que l'on procédait depuis plus de cent ans, mais bien à ces officiers au statut particulier. C'est en ce sens que concluait la Compagnie des Courtiers de Marchandises Assermentées, à l'origine du contentieux, et c'est en sens contraire que se prononçait la cour d'appel de Dijon.
La Cour de cassation, dans un arrêt de rejet, suivit la ligne tracée par les juges du fond, considérant que seules les ventes entre commerçants sont protégées par le monopole de ces courtiers. Or, de commerçant, ici, il n'y en a pas. "Les Hospices de Beaune, lorsqu'ils vendent leur vin, se comportent comme un propriétaire récoltant", précise la Cour, et effectuent donc un acte civil. Les juges de cassation n'avaient donc fait là qu'une application bien simple d'une antienne aujourd'hui assimilée et confirmée par la loi du 30 décembre 1988. L'agriculture relève du civil ; très exceptionnellement de l'acte de commerce. Dès lors, la vente caritative pouvait se passer du concours de ces courtiers. Et les Hospices purent à loisir recourir aux services de commissaires-priseurs. Si bien, d'ailleurs, que depuis quelques temps, c'est à la société Christie's, qu'est confié le soin d'organiser les prestigieuses enchères. A bon escient, certainement. Elément de révolution comme un autre, il avait ainsi été mis en place, pour cette édition, un système de vente aux enchères par internet, au moyen d'une retransmission en ligne (S. Ouchikh, Les ventes de Beaune en direct sur la toile, Le Figaro, 17/18 nov. 2007, p. 45). La médiatisation d'un tel évènement est heureuse. Et sans doute faut-il s'en féliciter, le crû est bon.
Thibault de Ravel d'Esclapon
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