On sait que Jean-Jacques éprouvait une forte méfiance à
l’égard du système de représentation, forcément imparfait, par lequel le peuple
confie ses intérêts à autrui : le seul souverain reste le peuple, même
s’il peut déléguer le gouvernement des affaires à certains, à des conditions
limitées.
« Il n’y a de
loi que lorsque tout le peuple statue sur tout le peuple » ; « à l’instant qu’un peuple se donne des
représentants, il n’est plus libre, il n’est plus » (Contrat social).
C’est pourtant le système de représentation parlementaire
qu’en France depuis la Révolution, avec quelques intermèdes, nous avons adopté.
Et nous en sommes à la Vè République.
Cela a plus ou moins bien marché (plutôt bien, ne nous
plaignons jamais d’une démocratie).
Aujourd’hui, l’état de la confection de la loi est devenu
tellement préoccupant que ce sont nos représentants eux-mêmes qui s’avouent
impuissants et font un retour spectaculaire à Rousseau, par une sorte
d’hommage… sans doute involontaire.
Une incroyable page, intitulée « Simplifions la loi », que l’on trouve depuis quelques jours
sur le site de l’Assemblée nationale
invite en effet de façon solennelle tout citoyen – qui se gardera cependant de
livrer son identité et ses données personnelles, mais utilisera un
« pseudo » (singulier gage de sérieux) à venir au secours de la
représentation parlementaire. Simplifions la loi ensemble, voilà le programme.
A côté du référendum, le « blog » parlementaire.
Un petit côté suisse, aussi.
Si on résume, en deux points :
- D’abord, avec une franchise désarmante, l’Assemblée
nationale reconnaît noir sur blanc les maux des lois actuelles, faisant ainsi
son autocritique, en toute innocence : « inflation des textes, dégradation de leur qualité, dispositions
devenues inutiles, redondantes, obsolètes ou insuffisamment normatives, peu
intelligibles, contradictoires, mal coordonnées… » De quoi inquiéter
le citoyen ordinaire !
A qui la faute ? Ni à Voltaire, encore moins à
Rousseau, mais à la décadence légistique, certes pour une part d’origine
européenne, mais pas seulement. Ceux qui rédigent les lois sont au gouvernement
et au Parlement, ceux qui les votent, dans ladite enceinte. Est-ce à nous de
pointer leurs imperfections et remédier aux maux qu’on nous inflige ?
- Ensuite, nous voici invités à « citer précisément les dispositions
législatives vous paraissant répondre aux critères précédents et exposer les
difficultés auxquelles vous avez été confrontés… La commission des lois
présentera ensuite des propositions de réforme législative ».
Tant de rapports, d’articles, d’admonestations de la part
des plus hautes autorités de l’Etat, n’auront ainsi servi à rien. Les
responsables politiques ne s’en sortiront pas tout seuls. Il faut qu’on les
aide. Le plus piquant : en leur administrant sur leur site la preuve des
difficultés que nous avons rencontrées dans l’application de LEURS normes.
Surtout, on peut se demander, à supposer que les citoyens
répondent massivement – ce qui n’est point acquis - ce qu’il en
adviendra :
« Un cahier de doléances » ? Ce serait
intéressant, mais fort dangereux pour eux : nos gouvernants devraient se
souvenir que c’est ainsi qu’a commencé la Révolution française, en 1789 !
De nouvelles lois ? C’est évidemment le plus
stimulant, mais elles ne sauraient être générales (dernière en date,
celle de déc. 2004) ; ce devra être sur chaque point ayant posé les
difficultés énoncées dans « l’appel d’offres ».
En ce cas, la méthode devrait être la suivante : 1)
prise de connaissance de la mauvaise loi 2) abrogation si elle ne peut être
sauvée 3) réécriture, pour la simplifier, si elle peut l’être.
C’est donc sur chaque
point concerné que la commission des lois devrait les refaire – mais selon
quelle procédure constitutionnelle, si le gouvernement ne dépose pas des
projets de lois ? Ce ne peut guère être que par le biais de rapports (ah
non, il y en a assez, des rapports) ou d’amendements (mais à quoi ?), ou
de propositions de lois (mais dans quelles circonstances et émanant de qui, de
la Commission ?) Tout cela est un peu flou et il sera intéressant
d’entendre l’avis des constitutionnalistes, sur ce blog.
Sachant en outre que nombre des textes mal faits procèdent d’ordonnances prises par le
gouvernement, précisément pour « simplifier le droit » ( 149 de
portée générale, en 5 ans !) et qui, hormis quelques exceptions, ont
produit l’effet inverse.
Ce n’est pas tout : réécriture par qui ? Pas par les mêmes rédacteurs sans doute compétents,
mais pas en droit ni en science de la législation, car ce sont eux qui se
trouvent à l’origine des dispositions défectueuses.
Alors, proposons : que soient désignées autant de
mini-commissions Catala (celle-ci a fait ses preuves, avec l’avant-projet de
réforme des obligations). Le voilà, le modèle législatif du XXIè siècle, si nos
gouvernants veulent réellement améliorer les choses : le retour des universitaires,
la relève de Carbonnier et Cornu, nos modèles, qui devraient être les leurs,
s’ils avaient même idée de leur personne et de leur œuvre.
Ou à défaut : un universitaire dans chaque
sous-commission, pour raisonner, apporter sa culture et tenir la plume. Il ne
s’agit pas de nous pousser (charges supplémentaires et gratuites), mais d’aider
à sauver le navire.
Faute de quoi, ce recours à l’opinion populaire, n’aura
pas servi à grand-chose.
Jean-Jacques, dans son apparent excès, avait probablement
raison.
Pierre-Yves Gautier,
Professeur Université
Panthéon-Assas (Paris II).
A consulter : Dictionnaire de philosophie
politique, dir. P. Raynaud et St. Rials, 3è éd., PUF Quadrige, 2003, Vis
« Loi », Peuple », « Représentation »,
« Rousseau ».
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