Lutter contre la récidive est incontestablement un objectif politique légitime : c’est un élément important de mesure de l’efficacité globale d’un système pénal, sans compter que derrière chaque infraction commise en récidive ou réitération se joue le plus souvent des drames humains. Encore faut-il que les outils déployés répondent aux besoins : des besoins qui devraient être définis après une évaluation scientifique tant de la situation criminologique que des lois existantes, et une analyse rationnelle des évolutions souhaitables (notamment fondée sur des expériences évaluées)…
Le projet de loi « renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs » présenté en Conseil des ministres le 13 juin 2007 (V. D. 2007, Act. Lég. p. 1652), de toute évidence ne remplit pas ces conditions méthodologiques préalables. Une nouvelle fois, la loi pénale va être modifiée surtout pour l’impact médiatique que représente l’annonce même d’une réforme, plutôt que pour un objectif réel d’efficacité rationnellement débattu. Pourrait-on imaginer une réforme importante d’ordre économique (une réforme fiscale par exemple) sans que, non seulement les professionnels concernés soient consultés, mais encore que les économistes et politologues compétents participent réellement aux débats préalables et contradictoires ? Non, évidemment. En matière pénale, si. Illustrations :
Les affirmations statistiques et criminologiques de l’exposé des motifs – en « Une » du site du ministère de la Justice, donc accessibles à tous les citoyens… – sont pour le moins laconiques. Lacunes et raccourcis qui conduisent à des enchaînements logiques faux, dont les conclusions sont lourdes. Ainsi, on nous indique que « Le nombre de condamnations en récidive a augmenté de 68,5% en 5 ans, passant de 20 000 en 2000 à plus de 33 700 en 2005. En 2005, 4500 personnes ont été condamnées en récidive pour crimes ou délits violents, soit une augmentation de 145 % par rapport à l’année 2000. La délinquance des mineurs suit également cette tendance. Une étude récente montre que 30,1 % des mineurs condamnés en 1999 ont récidivé dans les cinq années suivantes. »
Avant de tirer des conséquences sociologiques puis juridiques d’une statistique, encore faut-il, la présenter dans son intégralité avec des éléments de définition, de contexte et de comparaison : ici, a minima, on aurait dû ajouter aux chiffres donnés par le garde des Sceaux pour justifier son projet de loi, qu’en 2005, les juridictions ont prononcé 3 232 condamnations pour crimes et 521 118 pour délits, alors même qu’en 2000 il y avait eu 441 312 condamnations prononcées pour délit et 3 610 pour crime. Certes, la hausse (+13 700) de condamnations prononcées en état de récidive est bien réelle, mais doit être ramenée à la hausse générale des condamnations (+79 428)… La conclusion (provisoire) est tout autre que celle de l’exposé des motifs : la hausse en valeur absolu des condamnés en état de récidive s’inscrit dans une augmentation globale des condamnations. Cette dernières ayant elle-même de nombreuses interprétations possibles : est-ce uniquement l’indice d’une hausse des faits, donc du nombre de victimes, ou aussi (mais dans quelle proportion ?) l’indice d’une meilleure productivité de la justice pénale qui peut désormais absorber davantage d’affaires dans des délais plus courts ? Comment ignorer sur cette période la montée en puissance des procédures dites « rapides » et alternatives (comparution immédiate, CRPC, compositions pénales…) ou à juge unique ? Une nouvelle fois, on ne conclue pas au même diagnostique : là où des délinquants réitérant passaient entre les mailles de la justice, peut-être sont-ils aujourd’hui condamnés en récidive légale (ce qui expliquerait cette augmentation ?) ? À l’inverse, le nombre de récidivistes n’est-il pas réellement beaucoup plus important que celui tiré uniquement de la statistique des condamnations définitives ?
Il faudrait également, pour comprendre ce phénomène, présenter la nature des infractions concernées ainsi que des éléments de profilage des auteurs et surtout dire ce qu’on entend par récidive : la récidive légale ou sociologique ? La réitération légale ou sociologique ? Sur quelle période, pour quels types d’infractions ? Par exemple, la politique de sévérité en matière de circulation routière explique-t-elle pour une part (laquelle ?) l’augmentation globale des condamnations en récidive : est-ce cette délinquance qui justifie le projet de loi ? Ou la délinquance sexuelle ? Ou les violences aux personnes (en distinguant évidemment violences intrafamiliales des autres…) etc. ? On comprend bien que pour chacune de ces infractions, les situations et réponses ne doivent pas être les mêmes : existence d’une victime ou non, victime connue de l’auteur ou non, mesures de suivi socio-médical nécessaire ou non…. Bref la chose est plus complexe que les chiffres donnés : complexité, pourtant parfaitement démontrée par de nombreuses études menées par des scientifiques depuis des années et connues des politiques et responsables administratifs (comme les recherches de Pierre Tournier et Annie Kensey, collaborateurs réguliers notamment de l’Actualité juridique Pénal). Pierre Tournier aime à rappeler que « le taux de récidive est très précisément compris entre 0 et 100% » !
De cette présentation erronée d’une situation objective, la ministre en tire la conclusion suivante « Le projet de loi a pour objet de sanctionner de manière ferme la récidive des majeurs et des mineurs afin d’être dissuasif. » On aborde là, le « que faire ? ».
Une fois encore, s’il n’est pas mis en doute la légitimité des hommes et femmes politiques à faire des choix, et ce dans une logique idéologique cohérente, on est en droit d’attendre un débat rationnel qui définisse ce qui est nécessaire et utile, dans une confrontation d’idées qui se fondent sur l’évaluation, les études empiriques, quantitatives, qualitatives… : bref qu’on ne procède pas par affirmation sans un début de démonstration.
Sommes-nous sûr que « sanctionner de manière ferme » a un effet « dissuasif » ? Et avant même cette interrogation, il faudrait que l’on montre que les juges français sanctionnent de manière laxiste : ce qui au regard des comparaisons du Conseil de l’Europe n’est évidemment pas le cas ; la France connaissant même un des régimes légaux les plus sévères d’Occident. Mais surtout, depuis au moins Beccaria (pour ne pas remonter aux philosophes grecs), on sait, et cela a été redémontré maintes fois depuis deux cents ans, que ce n’est pas tant la sévérité de la peine qui est dissuasive que, d’une part, sa certitude et, d’autre part, son contenu. On pourrait penser que le système de « peine plancher » proposé va participer à la « certitude » de la peine (en plus de sa sévérité légale). On sait cependant que la certitude de la peine est surtout une question présententielle (notamment liés à la procédure pénale, l’efficacité de la police et de la justice) et postsententielle (le contenu du suivi des condamnés) et non pas principalement liée à une échelle et un mécanisme de prononcé des peines. D’autant que le projet de loi, afin de respecter de justes principes constitutionnels, prévoit systématiquement la possibilité pour les juges, en se justifiant, de descendre en deçà de ces nouveaux minima : bref, la loi réinvente une forme de « circonstances atténuantes » appliquées à certains cas de circonstances aggravantes de récidive (principe abandonné en 1994, avec le nouveau code pénal…). Donc rien de bien nouveau.
Surtout, sur le fond, la « certitude » de la peine est ici uniquement envisagée comme la certitude et la sévérité de la peine de prison : or, cette dernière est-elle le meilleur moyen de lutter contre la récidive ?
Là encore, renvoyons à tout ce qui a pu être dit, écrit et même parfois voté à l’unanimité par les parlementaires (en 2000, par exemple) sur les effets négatifs de la prison dans la lutte contre la récidive. En critiquant ce choix de favoriser la prison ferme, il ne s’agit pas tenir « une position laxiste qui oublierait les victimes » : au contraire ! Il s’agit d’affirmer qu’il est nécessaire de mettre les moyens juridiques et financiers sur une vraie évaluation des politiques pénales et criminologiques : par exemple, on le sait, investir de façon significative et cohérente sur la libération conditionnelle est, au-delà de tristes et insupportables faits divers, un moyen sérieux de lutte contre la récidive. Or, cette mesure efficace au regard de la sécurité publique est en train de disparaître ! Que nous proposons-t-on pour développer cette mesure ? Rien…
A-t-on évalué les précédentes lois qui affirmaient le même objectif de lutte contre la récidive ? Si peu. A-t-on pris en compte ces évaluations ? Non. Quel est le bilan de la loi de 1998 instaurant la peine de suivi sociojudiciaire ? Et celui de la loi de 2005 instaurant le bracelet électronique mobile ? Et celui de la loi de 1994 sur la « perpétuité réelle » ? Ce que l’on peut affirmer c’est que nombre de ces mesures votées parfois il y a plus dix ans commencent tout juste à se mettre en place, d’autres ont déjà montré forces ou faiblesses : qu’en tire-t-on comme leçon ?
La nouvelle loi n’aura d’effet, pour l’essentiel, que dans plusieurs mois voir années, puisque loi plus sévère, elle ne sera applicable qu’aux faits postérieurs à son entrée en vigueur. D’ici là le décret de grâce collective du « 14 juillet » pour « désengorger » les prisons (qui serait déjà prêt nous a-t-on dit) sera entré en vigueur, et devrait conduire à la libération d’environ 3 000 détenus immédiatement et de près de 5 000 à 6 000 dans les mois qui suivent, sans mesure individualisée d’aménagement de la peine (qui certes demande des moyens) : il n’est pas besoin d’être un grand criminologue et encore oiseau de mauvaise augure, pour affirmer que cette mesure collective « sèche » est source de récidive… Où est le « laxisme » ?
Pascal Remillieux
Pour aller plus loin : nous vous recommandons vivement la lecture du dernier ouvrage de Annie Kensey Prison et récidive, 2007, Armand Colin, coll. « Sociétales », qui met en perspective ces questions [20 ans de suivis scientifiques de la récidive des sortants de prison] bien loin des raccourcis intellectuels énoncés par l’exposé des motifs du projet de loi.
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