Il n'est nul besoin de développer au plus haut degré l'analyse légistique de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004, pour la confiance dans l'économie numérique, pour entrevoir que son titre est "chargé d'un contenu émotionnel, manifestant le caractère essentiel de son objectif" (V. sur ce blog, Pierre-Yves Gautier, "Le titre des lois, symbole de la République").
Si une distorsion entre l'esprit de la loi exprimé dans le titre et le contenu du texte lui-même reste, bien que critiquable, usuelle (V. au sujet de la loi sur la prévention de la délinquance, AJ Pén. mars 2007, Edito p. 99), la discordance entre le texte législatif et son, ou ses, décrets d'application, est, en revanche, nettement moins intelligible.
Un projet de décret d'application de la loi pour la confiance dans l'économie numérique vient pourtant illustrer cette étrange dichotomie : le législateur promouvait, en 2004, une loi dont l'objectif annoncé était de rassurer les acteurs de l'économie numérique ; en 2007, le décret d'application de l'article 6 de cette loi serait, à l'opposé, particulièrement anxiogène.
Que prévoit ce projet voué, s'il était publié, à "mettre en confiance" les protagonistes du World Wide Web ?
Conservation des données de l'internaute
Le projet énumère, dans une très poétique litanie, les obligations de conservations des données mises à la charge des fournisseurs d'accès à internet, des éditeurs de site, ou encore des opérateurs de téléphonie (fixe ou mobile).
Devraient ainsi être conservées les données permettant d'identifier l'origine de la création des contenus, à savoir : l'identifiant de la connexion, l'identifiant attribué par le système d'information à l'abonné, les date et heure de début et de fin de la connexion, les caractéristiques de la ligne de l'abonné, la connexion à l'origine de la communication, l'identifiant attribué par le système d'information au contenu, l'objet de l'opération, l'identifiant attribué par le système d'information à la connexion, le type de protocole ou de réseau utilisé, la nature de l'opération, les date et heure de l'opération, les pseudonymes utilisés.
De surcroît, devraient être conservées les informations fournies lors de la souscription d'un contrat par un utilisateur ou lors de la création d'un compte, tels : nom et prénom ou raison sociale, adresses postales associées, pseudonymes utilisés, adresses de courrier électronique associées, numéros de téléphone, mot de passe et informations associées (Sic !) ;
Il nous faut, pour être complets, mentionner l'obligation de conservation des données relatives au paiement : type de paiement utilisé, montant, numéro de référence du moyen de paiement, date et heure de la transaction. Ite missa est...
Sort des données conservées
La durée de conservation des données serait d'un an à compter du jour de la création des contenus. Les données devraient être conservées sur des supports et dans des formats d'enregistrement conformes aux normes techniques en vigueur et dans des conditions garantissant leur confidentialité et leur intégrité, et ce afin de permettre une extraction dans un bref délai pour répondre à une demande des autorités judiciaires.
Les données fournies seraient enregistrées et conservées pendant une durée maximale de trois ans dans des traitements automatisés mis en œuvre par le ministère de l'intérieur et de l'aménagement du territoire et le ministère de la défense.
L'étendard de l'atteinte aux libertés publiques a, bien évidemment, été aussitôt brandi pour rallier les opposants au texte (V. Tribune de Philippe Jannet, Président du Groupement des éditeurs de sites en ligne [Geste], publiée dans Le Monde du 21 avril 2007, "L'Etat veut-il tuer Internet en France ?").
Il n'en reste pas moins que, même si l'on évacue les questions, problématiques, de la responsabilité civile et pénale (notamment 375 000 euros d'amende, un an d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende pour les dirigeants) des opérateurs qui contreviendraient à ces règles, le projet apparaît, du simple point de vue économique, proprement "effrayant" : le coût de ces mesures reviendrait à 224 millions d'euros au FAI qui compterait 1 million d'abonnés, soit… 224 euros par abonné ! Dans le même temps le "principe d'une indemnisation forfaitaire est rejeté par l'ensemble des prestataires de l'Internet car sans commune mesure avec le montant des investissements en cause" selon l'Association française des fournisseurs d'accès à Internet et de services Internet (V. N. Silbert, Les Echos, 23/04/2007).
A la complexité des règles régissant le droit de la propriété intellectuelle, le peu d'attrait du nommage en .fr, et ce malgré un lifting récent (V. Décret n° 2007-162 du 6 février 2007, JO 8 févr., D. 2007, Actualité législative. 431), voici donc une nouvelle spécificité de l'internet français… Pas sûr, décidément, que la "confiance" y soit le maître mot.
Anthony Astaix
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