Nous avons déjà eu l’occasion (V. le billet du 14 février 2007 intitulé « Coupable comme cochon ») d’évoquer, en matière de singularité judiciaire, les procès faits aux animaux. S’agissant de procès atypique, et malgré le caractère morbide de l’affaire, nous nous devons de signaler le déplorable « concile cadavérique ».
Nous sommes au début de l’an 897. La dynastie carolingienne connaît, depuis le Traité de Verdun d’août 843 par lequel l’Empire fut divisé en trois royaumes entre les petits-fils de Charlemagne, de graves crises de successions. Lothaire 1er hérite du royaume de Francie médiane, vaste territoire qui, enclavé entre ceux de ses frères, s’étend de la mer du Nord jusqu’au centre de l’Italie, Italie où se trouve une autre source de pouvoir : Rome et la papauté.
Bien évidemment, il advint que le fils de Lothaire Ier mourût sans héritier et, bien évidemment, la Lotharingie (autre nom de la Francie médiane) fut âprement revendiquée par ses deux voisins. Attribuée à la branche carolingienne « française », au détriment de la branche germanique issue du troisième et dernier frère, elle sera finalement morcelée en plusieurs royaumes, ou empires, au gré des luttes intestines et successions. A l’occasion de l’une d’entre d’elles, en 892, Lambert de Spolète accède au trône d’Italie et, sous la contrainte, convainc le pape en place, Formose, de le sacrer empereur d’Occident. Formose se ressaisit - quatre ans plus tard - en sacrant Arnulf de Carinthie en lieu et place de Lambert. Et notre souverain pontife de décéder tranquillement dans les deux mois, sa mission accomplie…
Las. C’était compter sans l’amertume tenace de Lambert. Celui-ci reprit Rome et sa couronne par les armes et sa dignité bafouée par l’instrumentation du nouveau pape, Etienne VI. Formose avait comploté contre l’Empereur, il devait être jugé et puni. Ce qui fut fait.
Etienne VI organisa donc ce procès macabre et en fut le principal accusateur. La dépouille papale fut ainsi extraite de son tombeau, installée (lire fixée) sur un trône après avoir été revêtue des attributs pontificaux. Les droits de la défense étaient assurés puisqu’un diacre était chargé de répondre aux accusations du synode à la place de Formose.
On ne connaît pas bien le déroulement du procès mais l’on en connaît l’issue : Formose est reconnu coupable, condamné, dévêtu, et on lui tranche les trois doigts de la main droite ayant servi à la bénédiction des fidèles. Tous les actes pris par le défunt pape sont annulés. Les versions diffèrent mais il semble que son corps soit jeté dans une fosse commune, puis, sur ordre d'Etienne - à qui décidément l’on aurait dû conseiller la lecture de Sénèque – « le bon juge condamne le crime sans haïr le criminel » (De Ira, I, XVI) - jeté dans le Tibre.
Etienne VI connaîtra lui-aussi
une fin sordide : il est emprisonné pour mettre un terme aux révoltes du
peuple romain face à ce verdict inique et sera assassiné par strangulation
quelques mois plus tard dans sa cellule.
L’ère de la pornocratie pontificale pouvait débuter.
Anthony Astaix
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