Le corps humain serait-il au centre de tout ? Il y a peu, la presse a rapporté que des fragments de cheveux provenant de la dépouille de Ramsès II ont été proposés à la vente sur le Net. Les héritiers de celui à qui l'on avait demandé, il y a trente ans, de restaurer la momie (et qui avait précieusement conservé les inévitables déchets provenant de l'opération) avaient imaginé en toute bonne foi, pouvoir conclure un tel marché.
Puis on a appris qu'un voleur a pu s'emparer des biens de sa victime par la grâce d'un doigt qu'il lui avait arraché. Les empreintes digitales constituaient le code d'accès aux dits biens…Le développement des techniques en biométrie complique la tâche du voleur de papiers d'identité et du faussaire ! Il est plus efficace de couper les doigts de ses victimes…Vive le progrès !
Hier, le coiffeur de Britney Spears a mis en vente (toujours sur le Net) à mille dollars la mèche, les cheveux de sa célèbre cliente qui, dans un moment de désespoir, a cru devoir se faire raser la tête. Le culte des idoles n'est pas mort et la toison d'or a toujours un prix.
Enfin la revue " l'Express " annonce la vente, le 25 février prochain aux Etats-Unis, de sept dents en or ayant appartenu à Aristote Onassis. Les Misérables vendaient hier ce que les milliardaires vendent aujourd'hui…Ces souvenirs humains un peu particuliers seront-ils adjugés au seul prix du gramme d'or ? On vendra le même jour le cuir tâché de sang du siège de la voiture où le président Kennedy fut assassiné. Le commerce des reliques est donc aussi florissant qu'au Moyen Âge…avec ses pièces authentiques et ses contrefaçons. Ces exemples nous montrent que le corps humain en tous ses états est partout. Et qu'on trouve tout sur Internet. Ils nous contraignent à qualifier les éléments du corps humain. Nous pensons distinguer le déchet humain de la simple relique.
Le déchet humain est abandonné. S'il provient d'un acte chirurgical, on le classera dans la catégorie spéciale des " déchets hospitaliers " récemment créée. En dehors de ce cas, on fera référence au droit commun des " res derelictae " qui appartiennent au " premier occupant ". Mais celui-ci peut-il céder à autrui l'objet dont il s'est emparé ? Et d'abord l'intention d'abandonner un bien peut-elle résulter d'une présomption découlant du geste d'abandon ?
Reprenons l'exemple du coiffeur qui récupère - par la force des choses - les cheveux de ses clients. Qu'en fait-il ? On pense qu'il les met à la poubelle pour les détruire. Mais peut-il les vendre comme " choses de genre " à une entreprise qui fabriquerait des perruques en cheveux naturels ? Et peut-il - sans l'accord de son client - mettre en vente des mèches envisagées comme des " corps certains " individualisés, ayant appartenu à telle personne ?
Un déchet humain est un peu plus qu'une simple chose abandonnée susceptible d'appartenir au premier occupant. Il comporte un élément personnel de l'individu. Son statut se rapprocherait davantage de celui des " œuvres abandonnées " que de celui des simples res derelictae. Cet élément personnel peut donner une valeur à la chose que n'aurait pas une simple chose de genre identique. Et l'exploitation du déchet humain peut apporter des renseignements sur la personnalité de son auteur, qui peuvent aussi se négocier.
En jurisprudence, une ancienne décision relative au peintre Charles Camoin nous dit qu'on ne peut céder ni exploiter une œuvre artistique trouvée dans une poubelle, œuvre que l'artiste avait cru détruire en la jetant parmi les ordures. Il est question du droit moral de l'auteur sur son œuvre et de son respect en cas d'abandon. Cette jurisprudence ne peut-elle s'appliquer dans l'hypothèse que nous posons ? Le droit de l'auteur sur son œuvre n'obéit-il pas à des principes uniformes, que l'œuvre soit intellectuelle ou corporelle ? L'œuvre du corps et de l'esprit de l'homme ne révèle-t-elle pas à la fois sa grandeur et son humilité ?
Les reliques quant à elles ne sont pas abandonnées. Elles appartiennent en principe à quelqu'un. On a parlé à propos de la dépouille mortelle d'indivision familiale. Le propriétaire peut en principe en disposer (comme pour la vente des dents d'Onassis) mais il peut aussi les revendiquer s'il en est privé : la personne amputée du doigt est victime de coups et blessures volontaires. Mais elle doit aussi récupérer le membre mutilé, comme le dirait Jean Pierre Baud. Une fois passé l'obstacle de la qualification de la chose (est-elle ou non abandonnée ?) et de la détermination de la licéité de la cause de l'opération envisagée, il nous semble que de l'élément du corps humain formant l'objet de l'obligation paraît tout à fait susceptible de tomber dans " le commerce juridique " .
Xavier Labbée
Professeur des universités, Avocat au barreau de Lille
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