Fin novembre 2006, était publiée la dernière "contribution déplacements" de la Direction régionale de l'Equipement d'Ile-de-France (Dreif) à la révision du schéma directeur de cette région, contenant une proposition hautement polémique puisque consistant en l'instauration d'un péage urbain à Paris.
Péages à l'entrée des agglomérations, donc, mais également radars automatiques, permis à points, circulation alternée, pour ne citer que quelques mesures administratives - en vigueur ou envisagées -, qui sont autant de réglementations perçues par certains, les irréductibles "homo-automobilus", comme une vaste humiliation et une atteinte intolérable à leur libre-arbitre, ou, perçues par leurs farouches adversaires tenants d'une philosophie pédestre absolutiste, comme l'expression d'un odieux laxisme des pouvoirs publics. Nous forçons le trait, bien entendu, car, tout simplement, les débats sur les problèmes de circulation, et leurs réponses réglementaires, ont toujours été passionnés. Et, contrairement à ce que l'on pourrait penser, ils ne sont pas spécifiques aux XXe et XXIe siècles industrialisés.
A l'heure où nous fêtons le centenaire du premier autobus (1906), descendant direct de l'omnibus, embarquons pour un petit tour des évolutions en matière de réglementations routières :
Réminiscence enfantine, il nous vient à l'esprit une illustration d'Albert Uderzo dans un album de la célèbre bande dessinée Astérix (Les Lauriers de César ?) dans laquelle le dessinateur représentait une scène d'embouteillage à Rome… La même illustration était reproduite quelques planches plus tard afin de dépeindre une situation identique à Lutèce, la seule variante étant alors introduite par les invectives des conducteurs d'attelage. Uderzo n'a fait que dépeindre un problème bien réel de la Rome antique. Il nous est notamment parvenu une description d'Horace des problèmes de circulation rencontrés dans l'Urbs : "Vous prétendez que les rues sont libres ? Ici des charrettes rompent l'ordonnance d'un convoi funèbre, là c'est un chien enragé qu'on poursuit, plus loin des pourceaux fangeux qui m'éclaboussent". Juvénal n'est pas en reste : "ces imprécations d'un muletier forcé de s'arrêter, c'en est assez pour vous arracher au sommeil. Avez-vous une affaire qui vous appelle ? Nous avons beau nous presser, arrêtés par le flot qui précède, nous sommes accablés par celui qui suit ! L'un me heurte du coude, et l'autre d'un ais qu'il porte sur l'épaule ; ma tête frappée par une poutre va donner contre une cruche […] ; je sens sur mon pied la chaussure ferrée d'un soldat. Puis survient un chariot chargé d'un immense sapin ! Que de périls divers !" (Source : Claude Pasteur, Bon retour dans l'enfer des villes, Historia, sept. 2003).
La situation est-elle différente dans la France médiévale ou celle des Lumières ? A en croire Louis XIII, on se plaint du "fracas des carrosses dont beaucoup sont délabrés et couverts de boue", les cochers ayant des voix "enrouées et effroyables". Sous Louis XIV, alors qu'apparaissent les premiers carosses-omnibus, est édicté un règlement destiné à interdire aux cochers de gêner la circulation. Au XVIIIe siècle, celle-ci devient on ne peut plus périlleuse et l'on voit même se développer un usage selon lequel les carrosses de personnages importants sont précédés par d'impétueux molosses renversant les passants les moins véloces.
Il faut cependant attendre le XIXe siècle pour voir la naissance de véritables textes encadrant et restreignant le droit naturel qu'est le droit de circuler.
Ce sera chose faite avec la loi du 30 mai 1851 sur la police du roulage et des messageries publiques qui poursuivait deux objectifs : assurer la conservation des voies publiques et limiter les accidents de circulation en assurant la sécurité de tous les usagers. La législation en matière de circulation routière croît alors de manière exponentielle et proportionnellement au développement de l'automobile.
Le 9 octobre 1875, l'ingénieur Amédée Bollée obtient l'autorisation d'entrer dans Paris à bord d'un véhicule de sa conception, l'Obéissante, et provoque l'ébahissement d'une foule incrédule devant l'absence de chevaux. Le loup était entré dans la bergerie…
A peine deux décennies plus tard, le 14 août 1893, le préfet de police de Paris se voyait contraint, devant l'importance de la circulation hippomobile et automobile de prendre une ordonnance afin de réglementer le fonctionnement et la circulation sur la voie publique. L'article 18 disposait notamment que "nul ne pourra[it] conduire un véhicule à moteur mécanique s'il n'[était] porteur d'un certificat de capacité délivré par Monsieur le préfet de police". Cet article, que l'on peut qualifier d'expérience pilote, fut ensuite repris par les autres départements français. Un décret du 10 mars 1899 portant règlement relatif à la circulation des automobiles maintient le certificat de capacité de conduite et prévoit même son retrait "après deux contraventions dans l'année" (article 32).
Au début du XXe siècle, alors que sont installés les tous premiers panneaux de signalisation (les quatre premiers signes distinctifs, placés sur la route entre Paris et Trouville-sur-Mer, lieu de villégiature balnéaire, annonçaient un croisement, un virage, un passage à niveau et un dos d'âne), paraît le décret du 27 mai 1921, premier véritable Code de la route visant à "assurer à la fois la protection de la route et la sauvegarde des droits respectifs de ceux qui l'utilisent". Les modalités de délivrance et de retrait du certificat de capacité sont une nouvelle fois précisées. Un décret du 31 décembre 1922 portant règlement général sur la police de la circulation routière apporte quelques nouveautés aux règles existantes dont une, sémantique : le certificat de capacité devient un permis de conduire. Il faut attendre 1927 et un décret du 12 avril pour que naisse la notion de suspension du permis de conduire.
De nombreuses modifications (décrets des 18 décembre 1937, 20 août 1939, 12 janvier 1948, 29 août 1951, 10 juillet 1954, 28 août 1957) ont été apportées au Code de la route, allant de la simple retouche à la recodification complète (1958).
On assiste également à l'élaboration de textes internationaux et notamment la Convention routière de Genève de 1949 dans laquelle est reconnu le principe de spécialisation des permis (tourisme, poids lourds, transports en commun). Des catégories de permis, désignées par des lettres (de A à F), sont ainsi créées en France.
Le Code actuel, qui date de 1958 (ordonnance n° 58-1216 du 15 décembre) subit à son tour cette frénésie modificatrice (loi n° 75-624 du 11 juillet 1975, ordonnance n°2000-930 du 22 septembre 2000) dont l'une des mesures les plus récentes est l'instauration du permis à point (loi n° 89-469 du 10 juillet 1989).
Alors que la lutte contre la vitesse et la conduite sous l'emprise de l'alcool deviennent des priorités nationales, sont institués l'attestation secondaire de sécurité routière concernant les collégiens (obligatoire pour l'obtention du futur permis) ainsi que, le 1er mars 2004, le permis probatoire pour les jeunes conducteurs.
La prochaine étape sera probablement européenne puisque est à l'étude un projet de directive dont l'objectif est de réviser la législation européenne relative au permis de conduire en vue de réduire les possibilités de fraude, de garantir la libre circulation des citoyens et de contribuer à l'amélioration de la sécurité routière, et pour lequel le Conseil des Ministres des Transports de l'Union européenne a donné son accord le 27 mars dernier.
Anthony Astaix
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