Mercredi 8 novembre, le Ministre de l'économie, des finances et de l'industrie a présenté au Conseil des Ministres le très médiatique projet de loi "en faveur des consommateurs" dont l'article 12 instaure une nouvelle procédure qualifiée d'action de groupe.
Une fois n'est pas coutume, le Président de la République est intervenu pour saluer ce projet et réaffirmer la nécessité "face au développement d'une économie de service, de l'Internet et du commerce en ligne, (…) de donner de nouveaux droits et de nouvelles protections aux consommateurs. C'est une question de justice et c'est important pour la confiance des consommateurs, et donc pour la croissance". Mais derrière les déclarations emphatiques, se cache une réalité juridique qui ne peut susciter qu'une amère déception.
Certes, il existe aujourd'hui en France un large consensus quant à la nécessité de créer une procédure permettant à des groupes de consommateurs d'agir en justice sans constitution de dossiers individuels ou mandats.
Les voies d'action existantes ne permettent pas de régler les litiges de masse pour lesquels les préjudices individuels sont souvent de faible montant. Les victimes d'un même préjudice ne peuvent être toutes indemnisées et en conséquence les professionnels indélicats profitent d'une prime à la violation du droit puisqu'ils conservent une grande partie du bénéfice illicite ou frauduleux retiré de la pratique litigieuse. Si dans la plupart des cas les préjudices individuels nés de contentieux de masse portent sur un faible montant, mis bout à bout, ils représentent des montants conséquents.
Les procédures ouvertes aux associations de consommateurs, que ce soit dans l'intérêt collectif ou en représentation conjointe, ne permettent pas plus de réparer l'ensemble des victimes et dès lors n'ont pas de réel effet dissuasif. C'est ainsi que dans la récente procédure engagée à la suite de la condamnation pour entente des opérateurs de téléphonie mobile (décision du Conseil de la Concurrence du 30 novembre 2005, frappée d'un appel devant la Cour d'Appel de Paris, délibéré fixé au 12 décembre prochain), 12 521 demandes individuelles d'abonnés ont été jointes et déposées devant le Tribunal de commerce de Paris. Malgré ce nombre conséquent de dossiers individuels, malgré les moyens financiers et humains colossaux engagés par l'UFC Que Choisir (500 000 euros de frais de gestion : création et entretien d'un site Internet www.cartelmobile.org, 16 juristes, etc.), seul 0,06% des victimes de cette entente ont pu avoir accès au juge et peuvent espérer obtenir réparation. Comment les 99,94 % de victimes restantes pourront faire valoir leurs droits ? Seule l'action de groupe permettrait de sortir de l'impasse.
Certains représentants du monde économique persistent à rejeter cette procédure au motif qu'elle entraînerait une américanisation de notre droit, qu'elle serait un frein à la compétitivité des entreprises ou bien encore qu'elle serait contraire aux principes constitutionnels français.
Ces arguments ne résistent cependant pas à l'analyse. Le système judiciaire américain n'est en rien comparable au nôtre (magistrats professionnels et non élus, absence de jurys, absence de dommages et intérêts punitifs, interdiction du pacte de quota litis). La note de la direction du Trésor dont la presse s'est fait l'écho démontre que l'action de groupe ne saurait constituer un frein à la compétitivité des entreprises (Les Echos du 3-4 novembre 2006). Enfin, les principes constitutionnels français ne sont pas atteints par le mécanisme dit " d'opt-out ", base même de l'action de groupe, ainsi qu'a eu l'occasion de le rappeler le professeur Michel Verpaux dont l'autorité en droit constitutionnel n'est pas à démontrer (Intervention lors du déjeuner débat "Class action : comment mettre en place un système vertueux?" du 8 novembre 2006 à la Maison de l'Amérique latine).
Loin de céder à ces arguments fallacieux, les partisans d'une véritable action de groupe sont chaque jour plus nombreux, après le Conseil de la concurrence (Rapport général 2005 du Conseil de la concurrence), plus de 120 personnalités du monde politique, universitaire, judiciaire et économique se sont exprimées pour la création d'une véritable action de groupe (signature de l'appel en faveur d'une véritable action de groupe et envoi par les consommateurs aux députés de tracts pétition - voir www.quechoisir.org).
En réponse à cet appel, le gouvernement a présenté le projet de loi en faveur des consommateurs. Il faut malheureusement se rendre à l'évidence, tout cela n'est qu'illusion ou poudre aux yeux.
Le Président déclare qu'il souhaite que le texte soit " examiné par le Parlement avant la fin de la législature ". Ne nous trompons pas sur la signification de ce terme. Qui dit " examiné " ne veut pas dire adopté !
Le projet de loi ne sera inscrit au Parlement que dans les premières semaines de février conformément aux déclarations du Ministre, or la session parlementaire se termine à la fin de ce mois. Autant dire, compte tenu du nombre d'articles à débattre (une trentaine) et des deux lectures nécessaires dans chacune des chambres, que ce projet de loi ne sera pas adopté avant la fin de la législature.
Comment peut-on à la fois affirmer à maintes reprises vouloir faire avancer les droits des consommateurs, répondre à leurs besoins, et dans le même temps ne pas tout mettre en œuvre, notamment la procédure d'urgence (une seule lecture dans chaque chambre), pour faire adopter dans les plus brefs délais ce texte ?
Loin de se cantonner à cette seule imposture le gouvernement va plus loin en présentant comme une " action de groupe " un mécanisme aux antipodes de cette procédure.
Ainsi, dans un premier temps, une association de défense de consommateurs peut agir seule pour obtenir un jugement constatant la responsabilité du professionnel à l'égard de l'ensemble des consommateurs victimes de son comportement. Mais passé ce stade, l'unité du groupe éclate : il appartient à chaque consommateur victime de contacter individuellement l'entreprise afin de négocier une indemnisation. Dans le cas où cette proposition financière ne conviendrait pas ou dans l'hypothèse ou l'entreprise refuserait cette indemnisation, le consommateur doit saisir individuellement le juge ayant rendu la décision de responsabilité pour qu'il fixe cette indemnisation.
Le mécanisme, dans sa seconde phase, n'a plus rien d'une action de groupe puisqu'il implique une action individuelle de chaque consommateur victime. Dès lors, il retombe dans les écueils du système judiciaire actuel qui se heurte à l'inaction de ce dernier, le coût global d'une action individuelle (coût informationnel, déplacements, honoraires…) dépassant le plus souvent le montant du préjudice subi. Cette procédure est sans commune parenté avec le mécanisme d'action de groupe qui a fait la preuve de son efficacité au Québec, au Portugal, au Brésil, en Nouvelle Zélande, au Chili et qui a pour double vertu non seulement la véritable action de groupe permet de réparer l'ensemble des préjudices mais en outre, d'avoir un effet dissuasif en contraignant les professionnels à restituer le bénéfice frauduleux.
Non seulement inefficace, le dispositif proposé par le gouvernement s'avérera ingérable pour les associations (exemple cartel mobile), pour les entreprises (milliers de demandes individuelles à gérer) et pour les tribunaux (engorgés par une multiplication d'actions individuelles).
Le champ d'application de la procédure est également extrêmement restreint puisqu'elle ne peut être engagée que pour des dommages matériels liés à une inexécution ou mauvaise exécution d'une obligation contractuelle d'un professionnel. Sont ainsi exclus du bénéfice de cette procédure tous les litiges de nature extracontractuelle, ayant généré un dommage physique ou moral, ayant pour origine une pratique anti-concurrentielle, ou nés à l'occasion de la formation du contrat. Autant dire que cette procédure ne trouvera application que pour quelques litiges restreints et pour lesquels, condition supplémentaire, les consommateurs ne pourront réclamer une réparation individuelle supérieure à un montant fixé par décret (2000 euros selon le projet de décret initial).
Il nous faut ainsi nous rendre à l'évidence, malgré les déclarations du Chef de l'Etat et du gouvernement, notre pays est encore loin de l'adoption d'une action de groupe.
Qu'adviendra-t-il de ce projet après les élections ? Que fera la nouvelle majorité issue des urnes ? Elle sera indéniablement attendue au tournant car notre société ne peut faire l'impasse d'un tel mécanisme si ce n'est au mépris des attentes des consommateurs confrontés aujourd'hui à un véritable déni de justice, et plus généralement du droit lui-même.
Gaëlle Patetta, directrice juridique UFC - Que choisir
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