Voici cent ans, le 25 octobre 1906, une jeune parturiente de 31 ans, la IIIe République, voyait sa progéniture institutionnelle agrémentée d’une nouvelle administration : le ministère du travail était enfanté par voie de décret. Le père, Georges Benjamin Clemenceau, n’était pas encore le « Père la victoire » mais déjà président du conseil.
A dire vrai, l’accouchement fut douloureux. Certes, l’enfant était le fruit de vœux pieux élaborés sous la Commune et portait en lui les désirs, auto-proclamés, d'humanité et d'altruisme de Clemenceau. Certes, l’idée d’un tel ministère était d’une actualité brûlante, alors que, aussi bien en France qu’en Europe, se tenaient des conférences portant sur les questions sociales ; alors que des associations, auxquelles participaient des juristes et des hauts fonctionnaires, étudiaient ces questions ; alors que, encore, les mouvements syndicalistes se structuraient véritablement (IXe congrès de la CGT et élaboration de la charte d’Amiens)…
Malheureusement, le fait déclencheur à l’origine de cette naissance est d’une nature beaucoup plus dramatique.
Le début du XXe siècle voit, en effet, se multiplier, concomitamment à l’industrialisation et à l’accroissement des machines qu’elle sous-tend, les accidents du travail. Le 10 mars 1906, l’industrie minière paie un lourd tribut à cette industrialisation : ce samedi, à 6h34, un coup de grisou provoque une gigantesque explosion dans une houillère du Pas-de-Calais. Il est 6h34 mais les hommes sont, bien évidemment, déjà au fond de la mine. Le bilan est effroyable : 1099 victimes, dont près de 23% ont moins de 18 ans.
Georges Clemenceau, alors Ministre de l’Intérieur, doit faire face à la colère de la population du bassin : quelques jours plus tôt, aucune mesure n’avait été prise alors que les mineurs avaient pourtant alerté les autorités sur la présence d’effluves du gaz redouté. La grève éclate le lendemain des obsèques. Des barricades sont élevées. Le « Tigre » vendéen envoie 20 000 soldats. Le chiffre est énorme si l’on songe qu’il n’y a que 40 000 grévistes. L’insurrection est brisée mais les revendications se multiplient avec, pour fer de lance, la protection contre les accidents du travail.
Dans ce contexte, Clemenceau, appelé à la présidence du Conseil le 25 octobre, signe le décret portant création du Ministère du Travail et de la Prévoyance Sociale qui réunit des administrations rattachées jusque-là aux ministères de l'Intérieur et du Commerce.
C’est ainsi que le jeune ministère a pour mission d’être, selon René Viviani son tout aussi jeune premier Ministre du Travail, « ...perpétuellement penché sur les travailleurs, discernant leurs besoins, donnant à leurs réclamations légitimes, sous la forme de projets de loi précis, toutes les satisfactions, il doit recueillir les revendications ouvrières, et, sans, en diminuer l’éclat, les apporter ici, à la tribune du Parlement » (discours prononcé le 8 novembre 1906 à la chambre des députés).
Cent ans après, finalement, l’objectif de prise en compte des « besoins » des travailleurs est toujours, et l’on ne sait si l’on doit s’en réjouir ou le déplorer, d’actualité. Seule change, au XXIe siècle, la sémantique : aujourd’hui on promeut le dialogue social et la négociation entre l'Etat et les partenaires sociaux (discours du chef de l’Etat prononcé le 10 octobre 2006 devant le devant le Conseil économique et social relatif au projet de loi sur le dialogue social).
Anthony Astaix
Les commentaires récents